mercredi 7 octobre 2009

Interview de Serge Moati

Sur le plateau de Ripostes, interview vérité de Serge Moati : Israël, la Tunisie, la paix, ses projets artistiques, il se livre sans fard.

"C'est tout de suite, c'est sur Ripostes", promet en direct Serge Moati qui vient de présenter aux téléspectateurs le débat qui va s'ouvrir dans quelques minutes sur TV 5 France : en ce dimanche 10 mai, c'est Henri Guaino, conseiller de Nicolas Sarkozy, qui va passer sur le gril. Mais si nous nous trouvons en ce jour sur le plateau de Moati, c'est plus pour Serge que pour Henri : voilà 10 ans que l'émission Ripostes fait parler d'elle, et l'animateur n'y est pas pour rien : impact des invités certes (Villepin, Finkelkraut, Tariq Ramadan, Marine Le Pen …), mais aussi style très personnel d'un homme de télé qui jongle entre journalisme, réalisation et production, sans oublier de faire l'acteur de temps en temps.

Petites lunettes rondes, gestuelle théâtrale, culture, humour et sentiments : une nature méridionale conjuguée au travail sur l’allure d’un homme de communication conscient de son image. Après l'émission et le cocktail consécutif, Serge Moati, vanné mais encore vif et alerte, tombe le masque pour Israël Magazine.

- Vous considérez-vous avant tout comme un réalisateur, un acteur, un producteur, un journaliste, un écrivain, un homme politique ? La liste est longue...

- Tout cela à la fois et rien de tout cela. Tout ça à la fois parce qu'effectivement, c'est ce que je fais. Je suis un homme de télévision, de communication. Quel est mon métier ? Je ne sais pas... La curiosité, le goût de l'autre sont le point commun entre toutes ces activités. Ce que j'aime, c'est l'alternance. Là, la saison de Ripostes va s'achever et j'avais très besoin de faire un documentaire. J'ai eu la chance d'aller en Israël faire une journée pour ARTE. J'ai besoin de respiration.

"Il y a contradiction entre spiritualité et pratique orthodoxe de la religion"

- Comment vivez-vous votre judaïsme ?

- Je suis laïque, mais spirituel. Je pense qu'il y a une contradiction entre spiritualité et pratique orthodoxe du judaïsme. J'ai un rapport très singulier à Dieu. Ca paraît prétentieux, mais c’est ainsi. Je pense me trouver dans la droite lignée de la tradition juive, comme Moïse qui a vu Dieu face à face. Je n'aime pas le côté conformisme collectif et ne pratique donc pas. Mes parents sont morts quand j'avais onze ans. Je n'ai pas du tout connu la tradition juive. Je n'ai pas le souvenir de fêtes. C'est donc tout seul que je m'y suis mis, et je défie quiconque de dire qu'il est plus juif que moi.

- Vous êtes connu pour vos bons rapports avec le monde musulman. Un réalisateur tunisien a adapté votre livre Villa Jasmin pour un téléfilm. Je ne connais pas d'autre exemple de réalisateur musulman ayant adapté l'oeuvre d'un Juif. Comment cela est-il arrivé ?

- C'est arrivé par fraternité. On est nés tous les deux sous le même ciel. Son père était journaliste, le mien aussi. Il existait une fraternité des couches sociales en Tunisie : les pauvres Juifs étaient fraternels avec les pauvres Arabes. Les journalistes juifs - des bourgeois intellectuels dans l'ensemble - étaient copains avec les bourgeois intellectuels arabes. C'était une société de castes et de classes. Il y a certes eu des moments, liés à l'histoire d'Israël, qui ont été des moments de cassure. Mais la plupart du temps, sur la durée, les rapports étaient bons entre Juifs et Arabes. Il existait bien un anti-judaïsme ancestral qui par moments faisait des flambées. On brûlait tous les magasins juifs. Mais ça s'arrêtait dès le lendemain. La Shoah n'est pas une invention arabe. Il y avait des signes distinctifs : les Juifs étaient habillés d'une certaines façon ; ils n'avaient pas le droit de faire certains métiers. Mais cela n'a jamais atteint les proportions atteintes par l'anti-judaïsme dans l'Occident chrétien.

- Cherchez-vous à faire entendre certaines voix arabes ou musulmanes modérées ?

- Tous ceux qui peuvent contribuer au dialogue, Meddeb, Chebel, Tahar Ben Jelloul [prix Goncourt ndlr], je tente de les mettre en avant.

"Si Ilan Halimi a été assassiné, c'est par antisémitisme social"

- Comment réagissez-vous face à l'antisémitisme d'une grande partie de la population arabe ou musulmane ?

- Si Ilan Halimi a été assassiné, c'est par antisémitisme social. C'est... les "Juifs sont riches". Cela n'excuse rien ; l'acte est ignoble. Mais il ne s'agit pas d'un antisémitisme structurel, réfléchi. Je ne veux pas que la moindre de mes paroles contribue à alimenter cette polémique. J'ai trop de copains musulmans et juifs. C'est ensemble, et fraternellement, intelligemment, que nous devons aller les uns vers les autres. J'ai été fier de présenter la soirée de l’UNESCO sur le projet Aladdin [visant à apporter une information sur la Shoah, les relations judéo-arabes et la culture juive en arabe, farsi et turc ndlr] car elle va dans le sens du rapprochement. Il y avait quand même 250 intellectuels musulmans présents pour rejeter le négationnisme. On peut toujours jeter de l'huile sur le feu, mais cela ne m'intéresse pas. Je n'ai pas envie d'exciter, ni de pousser qui que ce soit à la guerre.

"La pire des attitudes, c'est la diabolisation"; "Le Pen a répété devant ma caméra, à cinquante centimètres de moi, que la Shoah est un point de détail de l'histoire."

- Vous auriez qualifié Le Pen de "marrant, sympa et cultivé". Son amitié pour Dieudonné est-elle aussi "marrante" ?

- Non. Mais je ne retire pas ce que j'ai dit. La pire des attitudes, c'est la diabolisation. Nous, Juifs, avons connu cela. Nous avons connu les stigmates et devons faire très attention à ne pas diaboliser qui que ce soit. Je ne vais pas, moi, fils de déporté, m'amuser à reproduire cela, avec Le Pen, sa fille, ou qui que ce soit d’autre. Quand un type pèse 18% des voix en France, il n'y a aucune raison de ne pas le recevoir. Ou alors on interdit le Front national ! Si on n'écoute pas, on ne comprend rien à la vie, à ce qui fait qu'un homme est un homme. Si vous le traitez de diable, vous lui retirez l'humanité, donc vous l'excusez. Et vous figez la réalité. C'est trop facile, le diable. Au moment où tous les journalistes refusaient de recevoir Le Pen, moi je l'ai reçu, et il savait parfaitement qui j'étais. Il a répété devant ma caméra, à cinquante centimètres de moi, que la Shoah est un point de détail de l'histoire.

Si j'avais pu interviewer Goebbels, je l'aurais fait. J'ai dit à Marine Le Pen, la dernière fois où je l'ai interviewée, que j'étais moi-même l'enfant d'un détail, et je crois que nos rapports se sont terminés là.

- Qu'est-ce qui justifie la grande admiration que vous semblez avoir porté pour François Mitterrand ? C'est grâce à vous qu'il est entré vivant au Panthéon...

- J'ai connu Mitterrand à l'âge de 21 ans. C'est un homme qui m'a beaucoup apporté, enrichi. Je le trouvais très gentil. Je n'oublierai jamais les grandes réformes sociales de Mitterrand, je n'oublierai jamais l'abolition de la peine de mort, je n'oublierai jamais l'Europe. C'était un grand ami d'Israël. Il est vrai qu'il a invité Arafat, mais après avoir prévenu la Knesset qu'il y aurait un jour un Etat palestinien.

- Parmi les personnalités que vous avez interviewées se trouvent Lang, Royal, Bayrou, Villepin. Avez-vous gardé un souvenir marquant de l'une d'entre elles ?

- J'ai eu de grands moments, comme le débat entre Finkelkraut et Tariq Ramadan, parce que cela a représenté un moment extraordinaire de dialogue.

"Je préfèrerais un Israël plus méditerranéen. Le pays a tellement changé..."

- Dans un récent entretien, vous vous êtes déclaré agacé par l’américanisation à outrance d’Israël. Quel rapport entretenez-vous avec Israël ?

- Ce n'est pas ce que j'ai dit. Il est vrai toutefois que je préfèrerais un Israël plus méditerranéen. J'ai connu Israël en 58. J'y allais souvent. Le pays a tellement changé... Quand je vois la culture américaine envahir Israël, cela m'ennuie un peu. J'aurais préféré plus d'authenticité. J'ai beaucoup aimé la période des kibboutzim de ma jeunesse, la période des travaillistes. Israël inventait un modèle social démocrate tout à fait original et très fraternel. Israël fait ce qu'il veut et je ne suis pas Israélien. Mais le modèle fast food, business, "matter of fact" adopté par Israël ces dernières années ne me plaît pas spécialement.

- Comment s'est passée la coopération avec Amos Gitaï sur le film Plus tard tu comprendras ?

- Amos est un grand créateur. Il est entier. Contrairement à moi, il se donne entièrement à sa tâche du moment. Moi je fais 36 choses à la fois. Il a réalisé un beau film, fort. On est très dissemblables, mais on s'est bien entendus. Ma maison de production a produit le film. Je connaissais Amos, parce que dans l'Arche, où j'étais autrefois critique cinématographique, j'avais encensé son premier film, un documentaire.

"Je ne sais pas si la paix est possible, mais elle est nécessaire" ; "Je voudrais bien, avant de mourir, pouvoir y assister."

- Pensez-vous que la paix soit possible entre Israël et les pays de la région ?

- Je ne sais pas si elle est possible ; là n'est pas la question. Elle est nécessaire ; elle doit avoir lieu, si on ne souhaite pas la mort de nos enfants ou des enfants palestiniens. Et je voudrais bien, avant de mourir, voir la paix. Je suis passionnément attaché à Israël et je ne supporte pas que l'on puisse, avec légèreté, parler du destin d'Israël et ne pas favoriser tout ce qui peut contribuer à la paix. Surtout en se trouvant ici, le derrière bien à l'aise, en faisant la guerre par procuration ; c'est trop facile.

- Partagez-vous l'enthousiasme généralisé pour Obama ?

- Oui, je suis très content. On va voir. Il faut s'appuyer sur les forces modérées, et c'est ce qu'il fait, visiblement. Il est très important de s'appuyer sur des gens avec qui l'on peut parler. Mon maître Shimon Peres disait que l'on fait la paix avec ses ennemis, pas avec ses amis.

- Vous préparez un film sur le Général de Gaulles. Quel message voulez-vous faire passer ?

- "Je vous ai compris" a dit De Gaulle aux Pieds noirs sur le forum d'Alger, leur faisant croire que la France était là pour l'éternité, et quatre ans plus tard… J’essaie de comprendre comment cela a pu arriver. On en est au casting. On cherche les acteurs.

- Vous préparez en outre une pièce de théâtre …

- C’est une pièce sur l'Ecclésiaste d’une durée de 45 minutes. Je vais la jouer avec mon fils. Je serai le vieux roi d'Israël et lui le jeune roi [rires]. C'est un texte qu'il faut donner à entendre. Nous avons choisi la très belle traduction d’Ernest Renan. Je conjugue plusieurs projets car je m'ennuie très vite. J'ai besoin de faire. C'est pour moi un bonheur, pas du tout comme si je travaillais. C'est quand je ne travaille pas que je travaille… vous voyez ce que je veux dire ? [sourire]

Propos recueillis par Nathalie Szerman

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