mercredi 7 octobre 2009

Entretien avec Bernard-Henry Lévy

Menace nucléaire iranienne, perspectives de révolution anti-islamique en Iran, guerre froide au Moyen-Orient, et bien sûr Israël : son avenir, son identité… Bernard-Henri Lévy a pris le temps d’évoquer pour Israël Magazine ces sujets qui préoccupent aujourd’hui tous les esprits et où les façonneurs d’opinion sont le plus attendus.

Philosophe acteur de son temps, BHL l’est aussi sur la Toile : faisant partie de ces intellectuels qui ont compris que le web est le lieu des plus improbables rencontres, il est présent sur Facebook (http://www.facebook.com/pages/Bernard-Henri-Levy/91342363268?ref=ts), Twitter, et également sur un site que lui a consacré l’écrivain Liliane Lazar (http://www.bernard-henri-levy.com/qui-est-liliane-lazar). Par Facebook, BHL s’est adressé à la jeunesse iranienne en pleine période d’émeutes post-électorales pour lui montrer que, malgré la non-ingérence verbale des puissances occidentales, cette jeunesse n’est pas seule.

NS : Il existe aujourd'hui des raisons d'être optimiste ET pessimiste au sujet du Moyen-Orient. Quel avenir se dessine dans la région à votre avis ?

BHL : Je suis, paradoxalement, plus optimiste qu’il y a quatre ans. La défaite du Hezbollah au Liban. L’affaiblissement du Hamas. La révolte populaire en Iran. Tout cela va dans le bon sens. C'est-à-dire dans le sens de l’affaiblissement des forces de guerre et de haine.

"Le régime tenait sur l’illusion de la neutralité de Khamenei ... Eh bien fini, l’illusion."

NS : Le président Obama s'est dernièrement déclaré "consterné et outragé" face à la répression des manifestants iraniens. Il a toutefois fait savoir qu'il souhaitait ne pas s'ingérer dans les affaires iraniennes intérieures, car le soutien de l'Amérique pourrait « causer du tort » aux manifestants. Ne faut-il pas au contraire que les pays occidentaux manifestent haut et fort leur soutien aux manifestants au nom de la défense de la démocratie et des droits de l'homme ?

BHL : Oui, bien sûr, c’est ce que je pense. Et c’est ce que je n’ai, personnellement, cessé de dire. Y compris dans cette « Adresse à la jeunesse d’Iran » que j’ai enregistrée, sur webcam, dès les premières manifestations et que Liliane Lazar a diffusée sur la page Facebook qu’elle me dédie. Je sais que cette vidéo a été vue en Iran. Beaucoup. Et que c’est le genre de témoignage qui, même modeste, même infime, a au moins ce mérite : montrer aux gens qu’ils ne sont pas si seuls qu’ils le croient.

NS : Pour la première fois, ce n'est plus seulement Ahmadinejad mais Ali Khamenei qui a été attaqué. Pour la première fois également, le Gardiens de la Révolutions sont intervenus pour menacer les manifestants. Le régime iranien est-il, pour la première fois, en danger ?

BHL : Absolument, oui. Et, si j’ose dire, mécaniquement. Car c’est le pilier, là, qui est atteint. Le régime tenait sur l’illusion de la neutralité de Khamenei. On disait : « il y a les factions ; peut-être même se déchirent-elles ; mais heureusement il y a le Guide qui tient l’équilibre entre les factions ». Eh bien fini, l’illusion. Il est tombé, le masque de la neutralité. Khamenei, en prenant parti pour Ahmadinejad, en participant si éhontément au vol du résultat des élections, a achevé de perdre le crédit qui lui restait et a sapé l’une des bases essentielles du régime.

Au sujet de Moussavi : C'est le destin de toutes les révolutions de créer des leaders révolutionnaires

NS : Moussavi n'est pas un adversaire du régime islamique, comme l'a rappelé Khamenei lui-même. Or c'est ce même Moussavi qui s’est retrouvé, un peu malgré lui, l'effigie de la rébellion. Peut-il y avoir une Révolution anti-islamique sans leaders dignes de ce nom ?

BHL : Je dirai les choses autrement. C’est le destin de toutes les révolutions, avant de dévorer leurs enfants, de commencer par les produire et les engendrer. Elles font ça avec le tout venant. Avec les hommes du régime ancien. Elles font ça avec des hommes venus du vieux monde, parfois minuscules, médiocres, voire minables, mais qu’elles haussent au dessus d’eux-mêmes et auxquels elles confèrent, certains pour quelques jours, certains pour l’éternité, un destin d’exception. C’est ce qui est arrivé à Moussavi. Peu importe son passé. Peu importe qu’il ait été, comme vous dites, un homme de l’ancien régime. L’essentiel c’est qu’il s’est trouvé là, à ce point de l’histoire iranienne, hissé au-dessus de lui-même, soudain plus grand que soi, peut-être pour pas très longtemps, mais ça n’a aucune espèce d’importance.

NS :
Nicolas Sarkozy a averti l'Iran à plusieurs reprises qu'il risquait une attaque israélienne. Netanyahu est arrivé en Europe pour, semble-t-il, s'assurer le soutien des Européens sur le dossier iranien et peut-être en cas d'offensive contre l'Iran. Estimez-vous normal qu'Israël puisse envisager d'attaquer l'Iran ?

"Il faut tout faire - tout - pour empêcher des fanatiques d'avoir accès à l'arme atomique"

BHL : J’estime, non seulement normal, mais essentiel que l’on tente tout, je dis bien tout, pour empêcher des fanatiques d’avoir accès à l’arme atomique. Alors, bien sûr, la diplomatie. Alors, bien sûr, le dialogue. Alors, bien sûr, l’arme des sanctions dont on est loin, très loin, d’avoir épuisé les effets. Mais imaginons que rien de tout cela ne marche. Supposons que les dingues qui règnent à Téhéran fassent eux-mêmes le choix du viva la muerte. C’est vrai que ce jour-là, la communauté internationale n’aura plus tellement le choix…

NS : Pensez-vous qu'il soit possible aujourd'hui, par voie diplomatique ou même militaire, d'empêcher l'Iran d'accéder à la bombe ?

BHL : Je n’en sais rien. Je ne suis pas un expert de ces choses. Mais mon dieu oui, j’espère de toute mon âme qu’il existe encore des moyens d’empêcher cette catastrophe…

NS : Le président français a d'abord tenté d'isoler l'Iran en "sortant la Syrie de son isolement" (on peut toutefois se demander s'il n'a pas par ce biais renforcé le camp iranien, bien malgré lui). La France a ensuite inauguré sa base militaire à Abu Dhabi. Quel rôle la France peut-elle jouer dans le conflit au Moyen-Orient ?

BHL : Un rôle clef. Le Président Sarkozy est un incontestable ami d’Israël. Et il a montré, en même temps, qu’il pouvait avoir, sur les dossiers du Proche-Orient, des positons équilibrées. Cela est précieux. Cela sera, à mesure que le temps passera, de plus en plus précieux.

NS : Etes-vous satisfait de la nouvelle approche américaine des problèmes du Moyen-Orient ? Moins d'ingérence, une reconnaissance publique de la grandeur de l'islam, l'envoi d'un ambassadeur à Damas. Par sa volonté d'éviter les heurts et de promouvoir des liens d'amitié avec tous, ne risque-t-on pas de laisser le champ libre aux extrémistes et d'affaiblir les voix modérées ?

BHL : Je ne sais pas. On verra. Je pense qu’il faut, sur ces dossiers, laisser sa chance à l’administration Obama. Rien, dans le « track record » du Président, ne me semble de nature à nourrir la suspicion. Et qu’on reconnaisse la grandeur de l’Islam dans le moment même où on exhorte le monde arabo-musulman a) à renoncer au terrorisme, b) à s’ouvrir à la démocratie, c) à reconnaître la légitimité d’Israël, cela n’a rien pour me choquer.

NS : Le MEMRI a été le premier à évoquer une guerre froide au Moyen-Orient entre le camp iranien et la majorité des pays arabes sunnites modérés. Cet antagonisme est-il dangereux pour la paix ou permet-il au contraire d'unir les forces modérées face à la menace terroriste ?

BHL : L’Iran est un danger pour la paix. Mais que les pays sunnites modérés s’allient aux démocraties pour prendre conscience du danger et tenter de le contrecarrer me semble en revanche une bonne chose. La politique c’est l’art du moindre mal. C'est-à-dire de la hiérarchie des dangers et, donc, des urgences. Il y a une urgence, aujourd'hui : aider le peuple iranien à se débarrasser d’un tyran qui est, aussi, une menace pour le monde.

AD : Vous nous disiez il y a quatre ans que l'on ne jouait pas aux dés le destin d'Israël. Qui tient selon vous le destin d'Israël entre ses mains, l'Amérique, l'Iran?

BHL : Pour le pire, l’Iran – car nous savons bien que sa première cible, en cas d’obtention de l’arme atomique, serait le fragile et solitaire Israël. Pour le meilleur, l’Amérique – dont l’alliance avec Israël me semble, je vous le répète, encore très solide. Cela dit, ne nous trompons pas : aucune alliance n’est éternelle et le meilleur ami d’Israël reste encore Israël lui-même – sa force militaire, sa suprématie stratégique mais, aussi, les valeurs morales qui sont au principe du sionisme et qui en font un Etat, quoi qu’on en dise, pas comme les autres.

Un Etat palestinien oui, mais démilitarisé et sans retour des réfugiés

AD : Voyez-vous une solution au conflit israélo-arabe qui tienne compte de la sécurité d'Israël, de son identité juive ?

BHL : Tout le monde la voit, la solution. Tout le monde, sur le fond, est à peu près d’accord. C’est la solution des deux Etats. Assortie de deux conditions : la démilitarisation de l’Etat palestinien et la fin de non recevoir à la demande du fameux « droit au retour » des Palestiniens.

AD : Certains évoquent une islamisation des sociétés occidentales, par la démographie, la culture, l'habillement. Que répondez-vous?

BHL : Que c’est absurde.

AD : On dit qu'il faut une diaspora éclatante pour prendre la défense efficace d'Israël. Une alyah éclatante pourrait-elle être utile à votre avis ?

BHL : Il faut les deux. Car le judaïsme c’est les deux. C’est la combinaison du sionisme et des valeurs de la diaspora. C’est l’esprit de Scholem et celui de Rosenzweig. Les deux.

Propos recueillis par Nathalie Szerman avec le concours d'André Darmon

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