dimanche 29 mars 2009

Où est l'ambassadeur de Syrie au Liban ?

23.03.09

Vous souvenez-vous du sommet du 13 juillet 2008 à Paris, sommet de lancement de l'Union pour la Méditerranée ? Etait convié le très contesté président de Syrie, qui assistait en outre, le lendemain, aux festivités du 14 juillet. Sarkozy sortait ainsi la Syrie de son isolement, présentée au monde entier comme un partenaire. Il espérait peut-être ébrécher l’alliance irano-syrienne en faisant valoir à Bashar Assad les avantages de la coopération avec l'Europe. En échange de cette nouvelle reconnaissance internationale, la Syrie devait au moins nommer un ambassadeur de Syrie au Liban – avant fin 2008.

Certes, l’immeuble de l’ambassade est aujourd'hui prêt à recevoir le diplomate et le drapeau syrien flotte dans le ciel libanais, mais où est donc l’ambassadeur, dont nul ne connaît encore le nom ? Le Liban, en revanche, a déjà nommé son ambassadeur en Syrie, Michel El-Khoury, qui doit entrer en fonction fin mars, nous dit-on. Chronologie d'une plaisanterie qui dure :

5 janvier 2008 : Le ministre syrien des Affaires étrangères Walid Mouallem confirme que l’ambassade de Syrie au Liban sera établie avant fin 2008. Quant à la nomination d’un ambassadeur, "elle aura lieu progressivement" (iloubnan.info). Un adverbe qui laisse rêveur…

23 février 2009 : Bernard Kouchner précise (Al-Sharq Al-Awsat) que passe encore un petit retard, mais que si la Syrie envisageait de ne pas envoyer d’ambassadeur, ce serait “grave”.

17 février 2009 : Dans une interview au quotidien syrien Al-Watan, Buthayna Shaaban, conseillère d’Al-Assad, évoque avec légèreté la nomination d’un ambassadeur au Liban : “Nous avons treize ambassades sans ambassadeurs. Tout dépend des moyens et de la situation du ministre syrien des Affaires étrangères. Il n’y a pas de rapport entre [la nomination d’un ambassadeur] et les liens amicaux, l’entente et la proximité existant entre les peuples de deux nations (…)” La Syrie entend donc bénéficier des avantages de l’amitié de la France. La France se contentera pour sa part des beaux yeux de Bashar.

En attendant, la Syrie est bel et bien sortie de son isolement politique et ne s’en plaint pas : L’ambassadeur de Syrie aux Etats-Unis Imad Moustapha doit rencontrer à Washington un haut responsable du département d’Etat. Cette rencontre pourrait “constituer le début d’une ouverture dans les relations syro-américaines”, selon M. Moustapha (AFP, 25 février 2009).

Bon… Le cap des deux mois de retard est désormais franchi. Est-ce “grave”, Dr Kouchner, ou pas encore ?

Mars 2009 : Sarkozy, qui semble s'impatienter, déclare à Charm El Cheikh, lors de la conférence co-présidée avec Hosni Moubarak sur la reconstruction de Gaza : “Je dis aux pays qui ont des liens avec le Hamas : vous avez une responsabilité particulière pour exiger du Hamas qu’il rejoigne le président Abbas (…)” Par ces mots, il fait signe à la Syrie (qui héberge Khaled Mechaal à Damas) que le temps est venu de rendre la pareille ! Si ce n’est par la nomination d’un ambassadeur, au moins en exerçant des pressions sur le Hamas !

Mais revenons-en à l'ambassadeur : selon une source française haut placée, Paris n’a pas encore reçu du gouvernement syrien d’explication satisfaisante au retard de la nomination d’un ambassadeur de Syrie à Beyrouth, et a demandé au président du Yémen, Ali Abdullah Saleh, de clarifier la situation. Il semble toutefois que l’on puisse se passer des services du président yéménite : Al-Akhbar (Liban, 3 mars 2009) explique que la Syrie est intéressée à ce que l’opposition libanaise (pro-syrienne) remporte les élections législatives, prévues pour le 7 juin 2009, et obtienne la majorité au parlement. Or il est clair que la nomination d’un ambassadeur au Liban affaiblirait l’opposition pro-syrienne en ces temps cruciaux.

D’ailleurs, le paquet est mis pour que ces élections soient remportées par le Hezbollah : selon le Centre de recherche économique Info Prod, le Hezbollah libanais a dernièrement reçu un milliard de dollars (798 millions d’euros) destinés à sa campagne électorale. Elections cruciales pour l’Iran (et son influence dans la région), qui aurait octroyé 600 millions de dollars. Le Qatar (allié de l’Iran) aurait fait don de 300 millions de dollars. Il est certain qu'avec une mise pareille, un petit rigolo d’ambassadeur au Liban ne serait pas le bienvenu.

Et ce n’est pas tout : le 6 mars 2009, Wael Abu Fa’ur, qui appartient au parti du leader druze Walid Jumblatt (anti-syrien allié des Forces du 14 mars), accuse la Syrie d’ingérence dans la campagne électorale libanaise : la Syrie serait occupée à nommer les candidats de plusieurs listes électorales et à former des alliances. La Syrie gèrerait en outre un fonds électoral auquel plusieurs pays ont participé (Al-Sharq Al-Awsat, 4 mars 2009). Le fonds du milliard de dollars ? Non, celui-là, c’est l’Iran qui le gère ! L’Iran ou ses amis très proches.

Nathalie Szerman dans Lemonde.fr
La France dans les eaux troubles du Moyen-Orient

En créant l'Union pour la Méditerranée, en sortant la Syrie de son isolement, en co-présidant avec Hosni Moubarak le sommet de Charm El Cheikh sur la Reconstruction de Gaza, la France entend participer activement à l'instauration de la paix dans la région. Mais les écueils sont nombreux, et il n'est pas certain que Sarkozy ait su les éviter.

L’Union pour la Méditerranée face à la désunion du Moyen-Orient

Avec son ambitieux projet d’Union pour la Méditerranée (UPM), dont le coup d’envoi a été donné en juillet dernier à Paris, la France devait planter au Moyen-Orient les graines d’une paix concrète : projet économique et éducatif commun aux pays de la Méditerranée, l'UPM était une promesse de prospérité pour tous. La Syrie a été sortie de son isolement à cette occasion et conviée au sommet de Paris.

Projet ambitieux, courageux et généreux, qui occultait toutefois la dualité profonde du Moyen-Orient : le face-à-face de plus en plus rigide de deux blocs qui ne cessent de se préciser : l’axe iranien, très clairement devenu depuis la conférence de Doha du 16 janvier 2009 l’axe Iran-Syrie-Qatar-Hezbollah-Hamas, lorgnant en outre la Turquie. Face à ce camp, celui des pays sunnites modérés : l’Egypte, l’Arabie saoudite, la Jordanie et les autres. C’est là le fossé qui se creuse inexorablement, et par à coups, au Moyen-Orient, depuis la Révolution islamique d’Iran, avec la Guerre du Liban de 2006 et le clash consécutif de 2008 entre Hezbollah et Forces du 14 Mars, enfin avec la Guerre de Gaza, où la position de l’Egypte, très ferme vis-à-vis du Hamas, s’est opposée à celle de l’Iran, du Qatar et de la Syrie. Certains font remonter ce clash aux anciens conflits entre Arabes et Perses.

Cet affrontement a été qualifié pour la première fois de « Guerre froide » par un journaliste du Monde, en référence aux dissensions au sein de la Ligue arabe. Il se manifeste au Liban avec acuité : « La discorde politique opposant prosyriens et anti-syriens s'est transformée en un fossé aussi profond que dangereux pour la stabilité du pays (…) Campés sur leurs territoires, deux Orients libanais se jaugent : l'un s'inspirant des monarchies pétrolières du Golfe, l'autre reproduisant sur ses murs les grandes figures héroïques de l'Iran révolutionnaire », lit-on aussi dans le Monde (28 février 2009).

Faire du Hamas un interlocuteur et de la Syrie un émissaire : un beau rêve

Mais le gouvernement Sarkozy, qui manifeste une volonté unificatrice à toute épreuve, a délibérément refusé la logique des camps qui s'affrontent, du "with me or against me" de Bush, assurément passé de mode. Ainsi, on envisage de discuter avec le Hamas, plus représentatif que le Fatah, paraît-il, et de faire de la Syrie un intermédiaire dans les pourparlers avec l’Iran.

Dans une interview, Jean-François Poncet, vice-président UMP de la commission des affaires étrangères du Sénat, explique au sujet du Hamas : "Ce mouvement a aujourd'hui une audience réelle parmi les Palestiniens, probablement plus que n'en a Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne". Il ajoute, malgré la réalité des roquettes qui continuent de tomber sur le sud d'Israël : "Le Hamas est encore sur la liste des organisations terroristes, mais nous avons le sentiment que cette phase de son développement est dépassée." le Hamas a ainsi été qualifié d’« interlocuteur » par Bernard Kouchner.

Cette volonté de modifier l'approche des problèmes pour mieux les désamorcer et éviter les effusions de sang a un (ou deux) inconvénients majeurs : elle confère une marge de manoeuvre, sémantique et autre, aux entités du bloc iranien, les renforce face aux modérés, sans assurer qu'il y aura une contrepartie :

En faisant valoir à Bashar Al-Assad les avantages de la coopération avec l’Europe et d'une reconnaissance internationale (la Syrie mène depuis des discussions avec Washington), la France espérait sans doute briser l’axe irano-syrien et isoler l'Iran. Elle espérait au moins une contrepartie : quelques pressions sur l’Iran pour faciliter les négociations nucléaires, et sur le dirigeant du Hamas Khaled Mechaal, basé à Damas, pour stopper les violences. Ainsi, Paris a suggéré à George Mitchell, envoyé spécial des Etats-Unis au Moyen-Orient, de faire passer des messages à l’Iran via la Syrie.

En surtout, la Syrie avait promis une mesure tangible : la nomination d'un ambassadeur au Liban avant fin 2008. L’ambassadeur, c’est l’anti-occupant, l’anti-agent. C’est l’acceptation officielle de deux entités autonomes. Le mérite en serait revenu à la France et le Liban des Forces du 14 mars n'aurait pas été trop fâché de la nouvelle reconnaissance internationale accordée à la Syrie.

La Syrie n’a pas tenu ses engagements

Depuis, l’immeuble de l’ambassade est prêt à recevoir le diplomate et le drapeau syrien flotte même dans le ciel libanais, mais où est donc l’ambassadeur, dont nul ne connaît encore le nom ? Deux mois de retard et toujours rien. Le Liban, en revanche, a déjà nommé son ambassadeur en Syrie, Michel El-Khoury. En sortant la Syrie de son isolement, la France a donc renforcé l’axe irano-syrien, vu qu’Assad n’a jamais manifesté la moindre intention d’exercer des pressions sur l’Iran, le Hamas ou de reconnaître la souveraineté du Liban. Tous en Europe ne sont d'ailleurs pas prêts à suivre la voie témérairement ouverte par la France : les pays du Nord, les Pays-Bas et l’Italie veulent une position plus dure, tandis que l’Allemagne a le cœur qui balance.

D’ailleurs, il semblerait que l’on commence à déchanter au gouvernement : le 23 février, le quotidien Al-Sharq Al-Awsat faisait part de la "déception" de Kouchner, qui déclarait ne pas avoir d’explication au retard et précisait que si la Syrie envisageait de ne pas envoyer d’ambassadeur, ce serait “grave”.

L'Iran : la puissance à isoler

En revanche, la France ne semble se faire aucune illusion sur les aspirations militaires de l'Iran. En janvier dernier, adressant ses voeux au Corps diplomatique, Sarkozy avait déclaré que le programme nucléaire iranien n'avait "aucune finalité civile". "Le moment approche où un choix devra être fait par les dirigeants iraniens : soit ils provoquent une grave confrontation avec la communauté internationale, soit, ce que la France souhaite, on arrive enfin à une solution dans la négociation engagée depuis, tenez-vous bien, cinq ans", avait-il ajouté.

La déclaration commune du 3 février de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel sur "La sécurité, notre mission commune", va dans le même sens : "[Le régime de non-prolifération] est confronté actuellement au plus grand défi de son histoire : le programme nucléaire iranien. Téhéran table ouvertement sur l'absence de réaction internationale face à ses agissements. Nous ne permettrons pas l'accès de l'Iran à l'arme nucléaire, car ce serait une grave menace pour la paix mondiale." La déclaration reconnaît en outre qu' "aucun progrès" n'a été accompli dans la résolution de la crise nucléaire avec l'Iran.

Le sommet de Charm El Cheikh et le repositionnement subtil de la France

Lors du sommet de Charm El Cheikh du 2 mars sur la reconstruction de Gaza, co-présidé par Moubarak et Sarkozy, il semble que le président français ait quelque peu modifié sa position sur l'échiquier moyen-oriental, laissant percevoir une conscience plus aiguisée de la présence incontournable des deux blocs et de la nécessité de se situer du bon côté. Ainsi a-t-il déclaré : "Tous les Palestiniens doivent se rassembler dans ce gouvernement d'union derrière le président Abbas". "Derrière Abbas", expression qui tranche avec les propos de François-Poncet, qui déclarait, le 3 février 2009 : "On parle de rassembler les Palestiniens, ce qui signifie réunir Abou Mazen [Mahmoud Abbas] et le Hamas dans un gouvernement d'union nationale.", mettant les deux factions sur un pied d'égalité.

A l'occasion du sommet de Charm El Cheikh, Sarkozy signifie en outre à la Syrie que le temps de la contrepartie est arrivé : "Je dis aux pays qui ont des liens avec le Hamas : vous avez une responsabilité particulière pour exiger du Hamas qu'il rejoigne le président Abbas (…)."

Sarkozy a également appuyé l'Egypte lors du sommet : "C'est autour de la démarche égyptienne que les gens se retrouvent." L'Egypte retrouve un rôle de première importance, après qu'il lui fut reproché d'avoir échoué dans les négociations inter-palestiniennes. En soutenant Abbas et Moubarak, la France se repositionne subtilement du côté du bloc des Etats modérés. On ne peut que s'en réjouir, car c’est en appuyant les puissances modérées que l’on peut espérer contribuer à une paix concrète et obtenir le meilleur de l'UPM, aujourd'hui "institutionnellement suspendue"…

Nathalie Szerman (c) Jérusalem Post
Les Mormons à Jérusalem : la salle de concerts sur le Mont Scopus
Photo Nathalie Szerman

dimanche 22 mars 2009

Les Mormons à Jérusalem : rencontre

La ville sainte de Jérusalem attire toutes le confessions. Pour preuve : les mormons aussi y sont présents, à quelques mètres de l'Université hébraïque, où se trouve leur Centre d’études moyen-orientales. Cursus universitaires, concerts gratuits, aide humanitaire, les mormons sont actifs. Une seule limite : ils ne font pas de prosélytisme.

Le centre mormon de Jérusalem

Dennis Thompson est l'actuel président du Centre mormon de Jérusalem : arrivé de l'Utah, aux Etats-Unis, où se trouve la plus grande communauté mormone (61% de la population), il n'est là que pour deux ans. Son rôle : superviser l'aide humanitaire octroyée par la communauté mormone des Etats-Unis. Homme aux manières exquises, aimable mais un peu austère, c'est le parfait diplomate. Le directeur, celui qui s'occupe de la gestion de ce centre immense, est un Israélien non mormon : Eran Hayat. Lui ne veut ni se faire photographier ni discuter trop longuement : il a beaucoup à faire. Le directeur associé est palestinien.

"La plupart des employés du centre sont israéliens ou palestiniens. Nous ne sommes que quatre couples mormons sur place, envoyés provisoirement pour assurer une présence mormone dans le centre. Ma femme et moi avons la charge du volet humanitaire, un autre couple s'occupe des concerts, un autre de l'hébergement des étudiants et un dernier des touristes."

Les touristes sont en effet les bienvenus : des visites du centre et de ses beaux jardins aux espèces bibliques sont proposées plusieurs fois par semaine, avec film de présentation et concert d'orgue en prime. "L'immeuble a été conçu pour révéler la beauté naturelle de Jérusalem ; chaque fenêtre donne à voir un panorama différent de la ville. Ce centre est notre don à cette ville unique", déclare Thompson.

Les mormons ont également un centre à Tibériade et un autre à Tel-Aviv, en cours de construction. C'est là-bas que se trouve la plus grande communauté, avec 70 individus environ, surtout des Philippins et des Russes "qui étaient mormons avant d'arriver en Israël", tient à préciser notre hôte.

Engagés auprès de l'Etat d'Israël à ne pas faire de prosélytisme

Nous entendrons beaucoup parler du centre, mais pas un mot sur les activités religieuses des mormons : "Nous nous sommes engagés auprès de l'Etat d'Israël à ne pas divulguer notre doctrine pour éviter de faire des émules." Dennis Thompson ne dérogera pas à cette règle. Il consent toutefois à briser le mythe de la polygamie des mormons : "Les mormons ont été polygames pendant quarante ans seulement Aujourd'hui, non seulement la polygamie n'est pas permise, mais un mormon polygame serait excommunié".

Si en Israël comme en Chine, le prosélytisme mormon est strictement prohibé, les relations avec les autorités israéliennes n'en sont pas moins bonnes : "Nous étions notamment en excellents termes avec l'ancien maire de Jérusalem Teddy Kollek, qui nous a aidés à obtenir toutes les autorisations nécessaires à la construction de notre centre." Côté palestinien, les mormons ont des contacts avec diverses ONG dans le cadre de l'aide humanitaire octroyée.

Les mormons, qui se considèrent comme chrétiens, ont néanmoins leur propre livre doctrinal. Nous demandons à visiter leur église ; ils n'y en a pas : ils se retrouvent le matin dans la salle de concerts pour faire le programme de la journée et prier ensemble. Leur journée de congé est, en Israël, le samedi : "mais aux Etats-Unis, c'est le dimanche. Nous nous adaptons aux circonstances." Le samedi, ils prient, chantent et suivent des cours : un cours pour enfants, un cours pour adolescents, un pour hommes et un autre pour femmes, non mixtes donc. Nous n'en saurons pas plus.

"L'instruction : un commandement divin"

A Jérusalem, les mormons sont surtout connus pour leurs concerts : des concerts de musique classique gratuits donnés tous les dimanche à vingt heure, "avec les plus grands interprètes" et des concerts de jazz le jeudi, à dates irrégulières. En été, ces concerts s'écoutent devant le spectacle du crépuscule sur la vieille ville, en été sur celui de ses lumières nocturnes. "Certains fans viennent tous les dimanches, depuis des années. Ils sont israéliens pour la plupart."

Ce n'est pas un hasard si la présence mormone en Israël se distingue par son aspect culturel : l'instruction est considérée comme un commandement divin. L'université mormone de Jérusalem, aussi appelée BYU (Brigham Young University) ou encore Centre d'études moyen-orientales de Jérusalem, propose cinq cursus différents, tous centrées sur le Moyen-Orient. En outre, des voyages sont organisés au Sinaï et au Caire, à Amman et Pétra.

"Israël a une emprise sur les gens de toutes origines. Ils ont toujours envie d'y revenir."

Dennis Thompson a fait son service militaire aux Etats-Unis, dans le contre-espionnage. Il n'est pas le seul mormon à avoir servi dans l'armée des Etats-Unis : "Les mormons sont présents au sein de l'armée, à la Chambre des représentants, au Sénat ; d'éminents professeurs d'université américains sont également mormons. En Israël, on en trouve au consulat et à l'ambassade des Etats-Unis", déclare-t-il, non sans fierté. Lui-même a été envoyé à plusieurs reprises en Israël avec sa femme : "Israël a une emprise sur les gens de toutes origines. Ils ont toujours envie d'y revenir."

L'aide humanitaire des mormons : des meubles, machines à coudre, violons…

Keren Thompson, l'épouse de notre hôte, se consacre entièrement aux activités humanitaires, "aussi bien auprès d'organisations israéliennes que palestiniennes", précisant toutefois que ce sont surtout les Palestiniens qui font appel à ses services, et des organisations aussi importantes que le Croissant rouge. "Nous avons aussi travaillé avec Hadassa par le passé, mais ils ne sont pas vraiment dans le besoin."

Les mormons oeuvrent avec des organisations de Jérusalem et des villes alentour : Ramallah, Gaza, Bethlehem : "Je récupère des vêtements en parfait état laissés par nos étudiants aux valises surchargés, et je les envoie à un abri pour jeunes femmes de Bethlehem."A Jérusalem, les mormons assistent les Gitans, totalement marginalisés : "Ils sont à peu près 3000 dans la vieille ville de Jérusalem. Nous leurs fournissons des machines à coudre leur permettant de fabriquer et de vendre des vêtements, et des ordinateurs. Les enfants ne ont pas scolarisés."

Les mormons ont pour principe de ne pas donner d'argent, uniquement une aide en nature, mais jamais alimentaire : "Nous ne favorisons pas l'aide qui crée un état de dépendance à notre égard, mis à part le lait en poudre…" Pas d'argent et pas de nourriture, mais des soins dentaires "à des enfants qui n'ont jamais vu de dentiste de leur vie", des meubles destinés à des appartements d'handicapés. Et aussi, en partenariat avec l'hôpital (luthérien) Augusta Victoria (deuxième plus grand hôpital de Jérusalem Est), un programme pour apprendre aux femmes à être à l'écoute de leur corps, afin notamment de ne pas passer à côté de maladies graves. Mais le don le plus surprenant qui a été réalisé par l'Eglise mormone demeure celui de 80 violons.

"Je sais que quand ces enfants entendront cette merveilleuse musique sortir de ces violons, ils n'envisageront plus de devenir des bombes humaines."

Un jour, une Palestinienne du nom de Wafa Yunis, professeur de violon originaire du village d'Ara, appelle le centre pour solliciter une aide financière devant lui permettre d'acheter des violons. "Munis de huit violons cabossés, cette femme faisait régulièrement le voyage à Jénine pour donner aux jeunes Palestiniens des cours de violon. Nous n'avons pas pu lui donner d'argent, mais nous lui avons offert 80 violons." Remerciant chaleureusement Keren Thompson, Wafa Yunis eut cette phrase : "Je sais que quand ces enfants entendront cette merveilleuse musique sortir de ces violons, ils n'envisageront plus de devenir des bombes humaines." Les larmes aux yeux, Keren soupire : "On ne se doute pas du nombre de bonnes gens qui essaient de changer les choses." Mais par la suite, Wafa Yunis a voulu étendre son action à l'achat de pianos, et là, les Mormons n'ont pas suivi…

L'action humanitaire est une priorité pour les mormons, qui respectent un code moral et éthique stricte. Ainsi, aux Etats-Unis, ils créent actuellement leur propre usine de chaises roulantes, pour répondre à un besoin croissant aux quatre coins du monde.

Article et photo Nathalie Szerman (C) Israël Magazine
La position conflictuelle de l'Egypte face à la Guerre de Gaza

Dans la guerre qui a opposé le Hamas et Israël depuis le 27 décembre 2008, l'Egypte n'était pas neutre. La position clairement anti-Hamas du gouvernement égyptien, qui explique la modération de ses réactions face à l'offensive israélienne Plomb durci à Gaza, s’est toutefois démarqué du sentiment populaire, tout au moins tel que reflété par les prédicateurs, plus que jamais remontés contre "les Juifs".

Depuis des mois, l'Egypte s'efforçait de protéger ses frontières d'une infiltration de son territoire par le Hamas. L'Egypte redoutait notamment que le Hamas ne tente d'établir dans le Sinaï un Etat islamique, écrit Muhammad Ali Ibrahim, directeur du journal gouvernemental égyptien Al-Gumhouriyya.

Ces tensions entre le Hamas et l'Egypte contribuent à creuser le fossé, très sensible depuis la dernière guerre du Liban, entre deux blocs au Moyen-Orient : d'un côté l'Egypte et l'Arabie saoudite à la tête d'un bloc sunnite modéré, prêt à envisager la normalisation des relations avec Israël sous certaines conditions, de l'autre l'Iran, le Hezbollah, mais aussi la Syrie, le Hamas et certains groupes de résistance en Irak. Le Qatar, et parfois même la Turquie, sont accusés par le bloc sunnite de jouer un double jeu ou d'adhérer clairement au camp "chiite", qu'il serait plus exact de qualifier de "non-sunnite".

Côté iranien, des appels ont été lancés pour renverser les régimes égyptien et saoudien tandis que l'ancien ambassadeur d'Iran en Syrie Akbar Mohtashami-Pour fustige ouvertement l'Egypte (le 28 décembre sur la chaîne de nouvelles iraniennes IRINN) : "Le passage de Rafah est-il contrôlé par Israël ? La frontière de onze km de long avec Gaza et la Palestine est sous le contrôle des forces égyptiennes (…) le gouvernement égyptien collabore avec l'Amérique et Israël dans le massacre de la population de Gaza (…)"

Le moment de l'opération a donc vraisemblablement été choisi sur la base de considérations stratégiques par Israël, qui pouvait compter sur la modération des réactions de Mahmoud Abbas et de l'Egypte, menacés par le Hamas, ainsi que sur celle du camp sunnite dans son ensemble.

L'Egypte accuse le Hamas d'être au service des intérêts iraniens et syriens

Et de fait, les réactions des membres du gouvernement égyptien peuvent surprendre : l'Egypte a estimé que le Hamas causait plus de tort aux Palestiniens qu'Israël lui-même car il défendait les intérêts de la Syrie et de l'Iran, qui cherchent à alimenter le problème palestinien : Damas voudrait lier le problème palestinien à celui du Golan, tandis que l'Iran aurait besoin de la carte Hamas, qui lui confère une plus grande force politique, pour les négociations sur son programme nucléaire, estime Muhammad Ali Ibrahim dans ce journal (Al-Gumhouriyya) porte-parole du régime. En outre, ces deux pays chercheraient à instrumentaliser l'Egypte en le propulsant dans une guerre contre Israël qui les avantagerait. Quant au leader du Hamas Khaled Mechaal, "ses décisions sont contrôlées par Téhéran", affirme Ibrahim.

Ainsi, Ibrahim accuse le Hamas de tenir le peuple palestinien en otage alors que l'Egypte se préoccuperait du sort des Palestiniens : "Les positions du Hamas et de l'Egypte sont diamétralement opposées. Le Caire pense qu'il est impératif de sauver les Palestiniens de la catastrophe, tandis que le Hamas prétend qu'il n'y a rien de mal à ce qu'ils périssent tous, vu qu'ils deviendront martyrs et iront au Paradis", analyse Ibrahim.

Ne mettant de côté aucun argument contre le Hamas, Ibrahim n'oublie pas l'aspect religieux : "Ce que le Hamas a fait aux Palestiniens, pas même Israël ne l'a fait. Ce gouvernement est le premier gouvernement musulman au monde à empêcher ses citoyens de faire le Hajj [pèlerinage à la Mecque ndlr]". Ni l'aspect humain : "Et le Hamas est le troisième régime [arabe] à massacrer son propre peuple, après Saddam Hussein et Hafez El-Assad."

Le gouvernement égyptien contre Nasrallah

Outre les médias gouvernementaux, des membres du gouvernement ont aussi pris la parole. Ainsi Abu Al-Gheit, ministre égyptien des Affaires étrangères, a estimé que Nasrallah, qui avait appelé le peuple égyptien à "descendre dans la rue" pour se soulever contre son gouvernement, essayait de diviser l'Egypte : "Le cheikh Nasrallah a déclaré la guerre à l'Egypte. Il s'est adressé à l'armée et au peuple égyptien pour leur demander de susciter la même anarchie qu'au Liban." (sur Al-Arabiya le 2 janvier 2009 et relayé par memritv.org)

Il faut dire que Nasrallah savait ce qu'il faisait en interpellant le peuple et en le dissociant ainsi du gouvernement. Le peuple semble en effet plus que jamais remonté contre Israël et "les Juifs", contrairement au gouvernement Moubarak qui campe sur des positions modérées - si l'on en juge par les sermons des prédicateurs égyptiens, baromètre assez fiable du sentiment populaire : ainsi le religieux égyptien Safwat Higazi, mis en ligne sur http://www.memritv.org/ après que son discours eut été diffusé sur la chaîne télévisée du Hamas Al-Aqsa le 31 décembre 2008, dit : "Par Allah (…), si seulement je pouvais me tenir parmi les jeunes de Brigades Al-Qassam, leur tendre l'un de leurs missiles (…)"

La haine anti-juive des cheikhs égyptiens

Mais ce dernier ne se contente pas de manifester sa solidarité pour les adversaires d'Israël ; les "Juifs" sont clairement nommés : "le Jour du Jugement ne viendra pas tant que les musulmans n'auront pas combattu les Juifs. Les Juifs se cacheront derrière les pierres et les arbres, mais les pierres et les arbres diront : ô musulman, ô serviteur d'Allah, il y a un Juif derrière moi, viens le tuer."

Au fur à mesure de son sermon, le cheikh s'emporte : "Envoyez ces fils de singes et de porcs dans le feu de l'Enfer, sur les ailes des roquettes Qassam !" ou encore : "Les Juifs, doucereux comme une vipère, se léchant les lèvres comme un serpent moucheté, ne vivront jamais en bonne harmonie et en paix avec nous. Ils méritent d'être tués. Ils méritent de mourir."

Des propos exceptionnels, non représentatifs ? Qu'on en juge : Sur les seules chaînes Al-Nas et Al-Rahma, en deux jours seulement (28 et 29 décembre 2008), une flopée de cheikhs égyptiens hargneux ont été entendus, sans que leurs propos ne génèrent la moindre réaction de la part du public (les extraits suivants ont été mis en ligne sur memritv.org) :

Le cheikh égyptien Muhammad Al-Saghir : "Je dis au peuple de Gaza : prenez mon cœur, devenu dur comme la pierre. Prenez-le et servez-vous en pour lapider les Juifs." Le cheikh égyptien Muhammad Mustafa : "Si 20 millions de personnes peuvent encercler la terre, 20 millions de personnes peuvent bien noyer Israël dans une mer de sang." Le cheikh égyptien Muhammad Hassan : "Les Juifs ne comprennent que la force (…) Ce sont des sangsues qui versent le sang." Le cheikh égyptien Amin Al-Ansari : "On relate que les Israélites ont tué plus de 70 000 prophètes en un seul jour. Ce n'est pas la population qu'ils veulent éradiquer ; c'est la Révélation elle-même." Le cheikh et Dr Sallah Sultan : "La pierre lancée sur les Juifs hait ces Juifs (…) Le Protocole des Sages de Sion est une tentative pour gouverner et corrompre le monde entier." Le cheikh Muhammad Al-Gheini : "La vérité est que je ne comprends pas pourquoi ces fils de singes font ce qu'ils font (…)"

Et laissons le mot de la fin au cheikh égyptien Muhammad Hussein Yaqub, qui a le mérite de fournir une explication à ce flot de haine : "Notre haine des Juifs croît quand nous les voyons détruire nos frères. Nous bouillons de fureur (…) Si seulement nous pouvions étrangler les Juifs criminels (…) Si seulement nous pouvions étrangler les Juifs de nos mains nues et leur arracher la tête avec nos dents, pas avec nos armes (…)"

Comme on le voit, il existe actuellement un fossé important entre la ligne gouvernementale anti-Hamas suivie par le gouvernement de Moubarak et le sentiment "religieux" populaire, qui dépasse les frontières de l'Egypte... Cela nous fait dire que la paix n'arrivera pas le jour où un cessez-le-feu aura été signé mais celui où l'éducation commencera à porter ses fruits. Cette éducation, il ne faut toutefois pas trop compter sur les enseignants de la région pour la prodiguer. Plutôt sur Internet, porte ouverte sur le monde à laquelle se connectent de plus en plus de jeunes, même dans les pays pauvres, mais à condition d'y poursuivre une guerre virtuelle sans merci contre les intégristes…

Nathalie Szerman (C) Israël Magazine

mercredi 11 mars 2009

Qui a peur du MEMRI ?

Le MEMRI effectue la veille des médias du Maghreb, du Moyen-Orient, du Pakistan et de l'Afghanistan. C’est lui qui a fait fermer Al-Manar en Europe et aux Etats-Unis et fait connaître au monde entier la Syrienne progressiste Wafa Sultan. L’institut intrigue, fait couler beaucoup d'encre, mais demeure pourtant largement méconnu

Nathalie Szerman (c) Jerusalem Post

Avec ses deux sites Internet qui mettent en ligne traductions d'articles de presse et extraits des télévisions arabes et iraniennes, et ses cinq blogs spécialisés, le MEMRI est une source d'informations sans équivalent dans laquelle puisent politiciens, journalistes et universitaires. Son rôle : effectuer une veille médiatique « pour combler le fossé de la langue ». A savoir décrypter des informations à partir de 5 langues de départ et les traduire intégralement en anglais et partiellement en huit autres langues, accompagnées des références précises vers les sources en arabe, farsi, turc, urdu ou pachto.

Tous les jours de nouveaux documents et les derniers "clips" sous-titrés en anglais sont mis en ligne. Certains de ces extraits vidéos, également traduits en français, sont accessibles à partir de la version française du site de l’institut (www.memri.org/french) : il s'agit de quatorze réformistes moyen-orientaux, dont le MEMRI a compilé les discours.


Progressistes du monde arabe, mais aussi djihadistes et antisémites : leurs propos sont traduits et mis en ligne, qu'il s'agisse de membres du gouvernement, d'éditorialistes ou de dignitaires religieux. Ce qui a fait dire à Abraham Nafie, directeur du journal égyptien Al-Ahram, qu' "il faut faire attention à ce que nous disons car le MEMRI pourrait nous relayer".


Si le célèbre chroniqueur du New York Times Thomas Friedman vante l' "expertise" du MEMRI, qu'il qualifie d' "inestimable" source d'informations, d'autres le taxent de machiavélisme. Comme le politologue Mohammad El-Oifi, qui, dans un article du Monde diplomatique, affirme que l’institut chercherait à "noircir les Arabes et les musulmans aux yeux des Occidentaux", aurait le pouvoir de faciliter l'octroi de visas aux Etats-Unis et d'ouvrir les portes de la Maison Blanche à ses poulains que seraient les Arabes réformistes : "(…) on leur facilite [aux "journalistes arabes libéraux et progressiste"] l'obtention de visas ainsi que l'accès aux médias et aux autorités américaines", écrit-il.


C'est que l'impact du MEMRI dépasse celui d'un simple institut académique. Les exemples sont légion : suite à la diffusion de ses propos, le cheikh Qaradhawi - à la tête du Conseil européen pour la Fatwa et la recherche - a été interdit d'entrée aux Etats-Unis ; le Centre Zayed de la Ligue arabe a été fermé ; le directeur d'Al-Ahram Ibrahim Nafie a été poursuivi pour propos diffamatoires et des exemplaires du Protocole des Sages de Sion ont été retirés de la bibliothèque d'Alexandrie.

Une tribune pour les réformistes du Moyen-Orient

Si certaines voix se sont tues grâce au MEMRI, beaucoup d'autres se voient offrir un haut-parleur. C’est le cas de Wafa Sultan. Fin février 2006 sur Al-Jazeera, une Syrienne prend la parole avec un aplomb qui laisse ses interlocuteurs bouche bée pour fustiger un certain islam. Mise en ligne sur le site de MEMRI TV elle est relayée par tous les grands quotidiens occidentaux, le Nouvel Observateur, Libération, le Figaro, le Monde, le New York Times. Wafa Sultan devient un phénomène.


Depuis, d'autres femmes, parfois voilées, telle la Saoudienne Wajiha Al-Huweidar, ont osé s'exprimer sur les ondes arabes pour s'élever contre les abus des régimes qui les oppriment. Wajiha Al-Huwaider s'est même laissé filmer au volant d'une voiture en Arabie saoudite, où les femmes n'ont pas le droit de conduire.


Ce faisant, le MEMRI a essuyé de nombreuses critiques : reprenant une accusation assez répandue, Mohammed El-Oifi lui reproche de diviser le monde arabe et musulman entre gentils et méchants, ou plus exactement entre "réformistes et islamistes". D'autres l’accusent de vouloir imposer un modèle démocratique à l'américaine.


Mais Yigal Carmon, fondateur de l’institut, ancien coordinateur en chef du déploiement national de la défense anti-terroriste (sous Itzhak Rabin) n’est pas de cet avis. Il entend se faire l'écho d'Omran Salman, directeur du site arabe réformiste http://www.aafaq.com/, qui accuse le président du Parlement européen de "racisme" et d' "opportunisme" : "Les populations arabes veulent aussi la liberté et la démocratie", écrit Salman. Et il est bien facile pour ceux qui bénéficient de la suprématie de la loi et vivent dans des pays qui respectent les Droits de l'Homme de prôner le multiculturalisme, ajoute Carmon. En outre, le MEMRI n'impose pas de démocratie à l'occidentale puisque les propos mis en ligne sont ceux des natifs de la région, souligne-t-il.

Le MEMRI acteur de l'actualité

Ne se contentant pas d’être une tribune, l'institut s'est notamment illustré en contribuant à faire interdire de diffusion Al-Manar. D'abord en France, puis en Europe et aux Etats-Unis. Fin 2003, le MEMRI alertait l'opinion sur le contenu de la série antisémite Al-Shatat (Diaspora) diffusé en 29 épisodes sur la chaîne libanaise du Hezbollah Al-Manar. Le feuilleton relatait l'histoire d'un complot juif sur plusieurs siècles pour dominer le monde, et comprenait notamment une scène de "meurtre rituel" d'un enfant chrétien. A l’époque, Al-Manar diffuse en France, visa Eutelsat. La LICRA contacte alors le MEMRI, qui lui communique l'intégralité de la série, dont de nombreux extraits sous-titrés en anglais. Alerté à son tour, le CRIF intervient auprès du CSA, qui adresse une mise en demeure à Al-Manar et demande au Conseil d'Etat l'arrêt de la diffusion de la chaîne. Ce qui sera fait en novembre 2004.


Le dernier projet en date du MEMRI porte sur la Toile, où les groupes djihadistes sont extrêmement actifs : forums, blogs, sites en plusieurs langues dont les adresses électroniques changent régulièrement dans le cadre de la chasse en ligne que leurs font les autorités gouvernementales… Les islamistes, répartis sur l'ensemble de la planète, n'ont souvent d'autre lieu de rencontre que cet espace virtuel. C’est là qu’ils conversent et se tiennent au courant de l'actualité djihadiste : via Internet, des manuels de fabrication d'armes et d'explosifs ont ainsi été diffusés, des attentats annoncés.


Le MEMRI est à l'affût de ces annonces, parfois mises en ligne en langage codé qu'il faut pouvoir décrypter et traque tout changement et évolution des diverses tendances intégristes : il arrive que des groupes abandonnent le djihad, tandis que d'autres se radicalisent. L’institut met en ligne l'adresse valide des grands forums en constant déplacement virtuel, prévient des attentats qui se préparent, met le doigt sur les fausses déclarations n'émanant pas véritablement d'islamistes, met en ligne toute une série d'informations portant sur l'actualité djihadiste. Ce service, nommé JTTM (Jihad and Terrorism Threat Monitor), gratuit jusque récemment est devenu payant suite à la crise financière. Le MEMRI est entièrement financé par des donateurs et des fondations privées.


Autre nouveauté MEMRI : un "briefing center" qui vient d’ouvrir à Jérusalem, à vocation éducative. Et de proposer présentations vidéo, conférences, visites guidées sur les sujets-phares de l'Institut : les médias arabes contemporains, l'antisémitisme et le négationnisme, les partisans de la réforme dans le monde arabe et musulman, le terrorisme à l'échelle régionale et mondiale, les racines du martyre, les sites djihadistes, la menace nucléaire iranienne, Jérusalem (Al-Qods) vue sous l'angle arabe et islamique.


D'une production prolifique, le MEMRI éveille les passions, autant pour être encensé que diabolisé. Pendant des années, des politiciens, dignitaires religieux et autres façonneurs d'opinion du monde arabe se sont habitués à un double langage : l'arabe pour leurs peuples et l'anglais pour l'Occident. Ceux-là ne voient pas l’institut d'un bon oeil. Et en Occident aussi, paradoxalement, certains préfèreraient occulter un discours trop bruyant, discordant, mettant à mal une vision parfois idéalisée du monde. Alors, qui a peur du MEMRI ?

Box : L’institut met en ligne l'adresse valide des grands forums en constant déplacement virtuel, prévient des attentats qui se préparent, met le doigt sur les fausses déclarations n'émanant pas véritablement d'islamistes, met en ligne toute une série d'informations portant sur l'actualité djihadiste.

Encadré :

Le MEMRI en chiffres

- Une veille de 16 heures sur 24 de près de 100 chaînes télévisées
- 80 chercheurs et traducteurs
- 5 langues de départ : arabe, persan ou farsi (langue parlée en Iran et Afghanistan), turc, urdu (Inde et Pakistan) et pachto (Afghanistan et Pakistan)
- 9 langues d’arrivée : anglais, français, espagnol, allemand, italien, hébreu, russe, chinois, japonais
- 2 sites Internet (http://www.memri.org/ et http://www.memritv.org/)
- 5 blogs spécialisés
- Un siège à Washington et des antennes en Europe, au Moyen-Orient et en Extrême-Orient
- Un conseil d’administration qui comprend Elie Wiesel, Bernard Lewis ou Paul Brenner
Nathalie Szerman (C) Jerusalem Post
Le Nouveau cheval de Bataille du KKL

Nathalie Szerman © Jérusalem Post


A la mi-novembre 2008, les délégations du KKL se sont réunies à Francfort pour commémorer la Nuit de Cristal. Mais au Keren Kayemet LeIsraël (Fonds national juif littéralement "fonds pour l'existence d'Israël"), on ne clôt pas un événement sur un triste souvenir : sitôt achevée la cérémonie au Mémorial de Boerneplatz, les délégations se sont retrouvées au Centre communautaire juif de la ville pour faire le point et évoquer l'avenir.


Pendant deux jours, les représentants des différentes délégations se sont relayés pour dérouler le bilan de leur action annuelle, lancer de nouvelles stratégies et parler des projets en cours. Plus d'une dizaine de pays étaient représentés, dont la France, la Belgique, la Suisse, l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie, l'Espagne, la Suède, la Norvège et la Finlande, pour ne citer que ceux-là. Efi Stenzler, président mondial du KKL, a ouvert la session en s'interrogeant sur les nouveaux défis qui devront être relevés dans les années à venir. "Faut-il ou non s'occuper aussi des autres pays ?" est l'une des questions clés que le KKL est amené à se poser. La réponse viendra, tel un puzzle auquel chaque délégation apporte une pièce : oui, bien sûr, il faut se mondialiser, en se préoccupant désormais de l'environnement et de l'écologie au niveau planétaire.


A la conquête de l'or bleu


Ainsi, le KKL met désormais l'accent sur la recherche et subventionne des études dans différents domaines, certaines étant directement liées à ses activités, comme le reboisement, d'autres portant sur l'écologie au sens large, notamment sur les nouvelles méthodes d'agriculture biologique sans pesticides. Mais c'est l'eau qui est aujourd'hui le défi majeur du KKL. L'eau est un problème qui touche non seulement Israël, mais toute la région moyen-orientale, et le monde dans son ensemble - l'eau aujourd'hui communément qualifiée d'"or bleu", tellement plus précieux que l'or noir.


Israël, pays semi-aride, traverse depuis quelques années une sévère crise de sécheresse. Le Kinneret (lac de Tibériade) est l'une des principales sources d'eau d'Israël ; or son niveau approche dangereusement de la ligne noire, en deçà de laquelle les dommages sont qualifiés d'"irréparables". Quand le niveau du Kinneret baisse, le niveau de la salinité monte ; il faut donc éviter de pomper sous le niveau de la ligne rouge pour ne pas accroître la salinité. Mais l'accroissement important de la population, qui implique des besoins accrus en eau, ne facilite pas la tâche. Avec 310 habitants au kilomètre carré, la densité démographique en Israël fait partie des plus importantes de la planète (sans doute en raison de l'absence d'immenses terres vierges), à peine moins que celle de l'Inde (333 hab/km2). A titre de comparaison, la France affiche un taux de 94 hab/km2, ou 112 hab/km2 pour la seule métropole.


Et la pollution empêche de puiser dans certains réservoirs. En outre, l'évaporation et les précipitations diminuent, ce qui réduit encore les chances de sortir de cette pénurie en eau, dans les cinq années à venir.


Face à ces multiples difficultés, plusieurs moyens sont mis en œuvre. Parmi eux : la préservation des sources d'eau naturelles (le Kinneret n'étant pas la seule source d'eau d'Israël, loin s'en faut), le recyclage des eaux usagées (ce qui est déjà pratiqué dans l'agriculture), la création de nouvelles sources d'eau, et le nettoyage des fleuves et cours d'eau du pays, en coopération avec d'autres institutions nationales. Sans oublier une propagande visant à encourager une prise de conscience nationale du problème.


"Utilisez l'eau pure à bon escient : pour boire, et recyclez l'eau pour tous les autres usages", peut-on lire sur l'une des brochures du KKL.Israël connaît toutefois des années fort pluvieuses ; c'est pourquoi il est nécessaire de créer un système sophistiqué de stockage permettant de combler le fossé entre bonnes et mauvaises années. Ainsi, le KKL construit des barrages permettant de recueillir l'eau des inondations et de créer des citernes d'eau de pluie et d'eaux usagées.
L'un des projets les plus ambitieux reste toutefois la désalinisation de l'eau de mer, aux aménagements et au fonctionnement extrêmement coûteux. Les installations en voie de construction à Hadera devraient fournir de l'eau à partir de 2009 ou 2010. D'autres installations privées et publiques sont construites à travers le pays. Elles devraient fournir une eau de très bonne qualité et réduire la dépendance aux seules précipitations. Notons que l'Etat d'Israël a décidé de ne pas accroître le prix de l'eau à usage domestique, car "l'eau, c'est la vie", et la responsabilité de l'Etat, celle de continuer à approvisionner la population à moindre coût.


Impliquer les non-Juifs


Le KKL-JNF est présent dans plus de quarante pays. Parmi les projets financés par les donateurs, 398 concernent le développement et les infrastructures et 950 le (re)boisement. Le KKL ne concerne toutefois plus exclusivement les Juifs ou les amoureux d'Israël : des donateurs chrétiens désireux d'améliorer la situation en "Terre sainte" et d'autres, préoccupés par l'écologie dans le monde, font aujourd'hui des dons au KKL. L'organisation entend désormais se définir comme une structure juive qui œuvre pour l'écologie mondiale, et Israël se trouve être le lieu d'initiatives écologiques originales, souligne la secrétaire générale du KKL suède Marion Wiener, lors du séminaire de Francfort.


Le KKL a beaucoup accompli en matière d'écologie pour Israël et toute la région, relève-t-elle encore. Aujourd'hui, alors que l'environnement est au centre des préoccupations des dirigeants de la planète (avec le président Sarkozy et son homologue américain Obama qui en font une priorité), le KKL jouit d'une nouvelle jeunesse, car l'écologie est son domaine, et l'environnement l'affaire de tous. Pour impliquer davantage les non-Juifs, le directeur général pour la Suède Jariv Sultan suggère de modifier quelque peu la terminologie employée et notamment de ne plus nommer le KKL par cette appellation ancienne et connotée.


Face aux nouveaux défis qu'il doit aujourd'hui relever, le KKL entend se donner l'image d'une organisation jeune et dynamique à travers le monde. Pour ce faire, Michaël Bar-Zvi, délégué général du KKL en France, évoque la création de nouveaux itinéraires attractifs : un itinéraire des vins d'Israël a été organisé, et l'année prochaine verra la naissance de l'itinéraire des huiles d'olive du pays. En outre, des pistes cyclables vont être créées pour relier Jérusalem et Tel-Aviv.
Israël d'abord


Le KKL se tourne certes vers le monde, mais ne nous leurrons pas : Israël demeure sa priorité. Au Nord, l'organisation a entrepris de faire fleurir la Galilée, en coopérant avec le gouvernement à la création de nouvelles sources d'eau. Mais c'est le Sud, et le Néguev en particulier, qui recueille toutes les attentions. Deux grands parcs ont vu le jour à Dimona et Yeroukham. Un autre parc naturel va être créé à Beersheva.


L'objectif pour 2018 est un Néguev verdoyant, important des serres de fleurs en Europe. Quatre stations du projet R&D (Research and Development) ont vu le jour dans les régions agricoles du Néguev. Elles se spécialisent dans le développement de techniques adaptées aux régions désertiques. Pour un résultat optimal, elles exploitent le potentiel naturel du Néguev : diversité des sources d'eau et qualité de la main-d'œuvre. Il s'agit d'accroître le rendement et la qualité des récoltes et d'introduire de nouveaux produits permettant à Israël d'être compétitif sur le marché mondial. Les forêts et les réservoirs d'eau que le Keren Kayemet compte créer dans le Néguev auront l'avantage de rendre l'environnement attractif et d'encourager Israéliens et olim à peupler la région. Dépasser les limites du désert et faire de cette terre semi-aride une oasis de verdure : tel demeure l'objectif premier du KKL.


Nathalie Szerman © Jérusalem Post