mercredi 7 octobre 2009

Des rabbins orthodoxes favorables au mariage civil en Israël

Isaac Lifshitz, rabbin, docteur en philosophie, violoniste et ceinture noire d’aïkido établi à Jérusalem, est avant tout un homme d’esprit. A une époque où les approches religieuses dogmatiques ne sont pas peu prisées, Isaac Lifshitz tente de redonner toute sa place à l’esprit et toute sa valeur à la notion de mesure. Nous l’avons rencontré au Mercaz Shalem de Jérusalem, où il est chercheur. Mise au point autour de quelques idées clé :

(…) La pratique de l’aïkido a-t-elle une influence sur votre pratique du judaïsme ?


Isaac Lifshitz : Beaucoup me posent cette question. L’aïkido contient en effet un élément de paganisme, qui se manifeste notamment par le lien privilégié qu’il entretient avec la nature. Le fondateur de l’aïkido, Morihei Ueshiba, était un prêtre shintoïste. Il serait faux de dire que le judaïsme et l’aïkido sont parfaitement compatibles. Le judaïsme est toutefois une religion très ancienne, et en tant que telle respecte la nature.

Un exemple : le tabernacle est une construction en bois recouverte d’or, et suit donc les règles relatives au bois : un tronc doit être tenu racines en bas, branches en haut, en harmonie avec la nature. A Souccoth, nous tenons le loulav dans une position similaire. Le shabbat est aussi une obligation qui entre en harmonie avec la nature : une fois par semaine, nous cessons de créer. L’activité créatrice est en effet contre nature : elle est une manifestation du contrôle de l’homme sur la nature.

L’idolâtrie, qui se manifestait autrefois par des sacrifices aux forces déifiées de la nature, existe-t-elle encore aujourd’hui ?

“Les pratiques magiques existent encore parmi les Juifs – à travers l’utilisation de la Cabbale.“

Isaac Lifshitz : L’idolâtrie et les pratiques magiques existent encore au Moyen-Orient. Pas seulement chez les peuples qui nous entourent mais également chez les Juifs – à travers l’utilisation de la Cabbale ou certaines croyances, comme celle qui consiste à croire que boire de l’eau sacrée peut guérir. L’idolâtrie relève de l’adoration, alors que la magie consiste en manipulations irrationnelles destinées à modifier le réel.

Dans les faits, idolâtrie et pratiques magiques sont fréquemment liées et Maïmonide les dénonçait avec la même vigueur. Les pratiques magiques continuent d’exister au sein de certains courants cabalistiques du judaïsme : à travers la cabbale, certains étudient les mécanismes divins et les sphères supérieures afin de manipuler Dieu ; l’utilisation des lettres hébraïques, des versets bibliques et certaines actions irrationnelles ont pour objectif d’inciter Dieu à agir dans un sens ou un autre. C’est pourquoi de nombreux rabbins à travers l’histoire se sont opposés avec force à l’étude du mysticisme juif. (…) Le terme ‘idolâtrie’ est aussi employé en référence à l’adoration que certains ont pour le foot, l’argent, mais ce n’est là qu’une extension de l’application du terme, un abus de langage.

Comment définiriez-vous le rapport de l’Homme à Dieu dans le judaïsme ?

L’Homme et Dieu : “une relation égalitaire”

Isaac Lifshitz : Certains commentateurs talmudiques estiment que Dieu ne souhaitait pas qu’Abraham le prenne au sérieux au moment du sacrifice d’Isaac. Dieu veut que l’Homme discute avec lui. Nous le voyons avec Moïse : Moïse n’acceptait pas systématiquement les ordres de Dieu. Nous le constatons aussi avec Abraham, qui a discuté avec Dieu au sujet de la destruction de Sodome et Gomorrhe. La relation est beaucoup plus égalitaire qu’on ne le croit. Le judaïsme accorde une place d’honneur à l’Homme : l’Homme n’est pas tenu de tout accepter sans mot dire. Certains textes talmudiques évoquent une relation étonnamment amicale entre l’Homme et Dieu. Martin Buber, et d’autres penseurs juifs du début du XXème siècle, placent la relation entre l’Homme et Dieu, plutôt que Dieu seul, au cœur de la pratique juive.

La théocratie, où Dieu gouverne, vaut-elle mieux que la démocratie, où c’est le peuple qui gouverne ?

“La Torah laisse l’homme libre de choisir le régime qui lui plaît.”

Isaac Lifshitz : La loi juive ne recommande pas la théocratie. La pensée juive ne croit pas aux régimes ; dans la Torah, on entend deux fois parler de régime, dans le premier cas d’un régime de juges et dans le second cas de monarchie. Il s’agit dans les deux cas de suggestions de non Juifs : il est dit que si le peuple juif souhaite ressembler aux peuples qui l’entourent en ayant un roi, cela lui est permis. La Torah ne propose pas de régime politique car ce n’est pas là son domaine. Le peuple juif peut organiser sa vie politique comme il l’entend.

La Torah est-elle contre la séparation de la religion et de l’Etat ?

Isaac Lifshitz : Si plusieurs rabbins s’opposent à la séparation de la religion et de l’Etat, ce n’est pas par respect de la halakha [loi juive] mais pour préserver le judaïsme et le peuple juif. Ils veulent que l’Etat juif se comporte comme tel. Leurs motivations sont nationales. Je peux les comprendre, mais je pense que le prix à payer est trop élevé. Le nombre de couples qui choisissent d’aller se marier à Chypre est trop important pour être indéfiniment ignoré.

La séparation de la religion et de l’Etat : « La loi juive est faite pour ceux qui sont prêts à la suivre. »

L’ancien grand rabbin sépharade Bakshi-Doron souhaitait la séparation de la religion et de l’Etat. Il estimait que le mariage civil devait être permis en Israël. La situation actuelle est en effet problématique, et pas seulement dans le cas des mariages mixtes : il arrive fréquemment que deux personnes se marient conformément à la loi juive, mais ne divorcent pas selon les règles, ce qui engendre des problèmes. Or s’ils ne s’étaient pas mariés conformément à la halakha [loi juive], la séparation ne serait pas aussi problématique.

La loi juive sied aux personnes qui sont désireuses de la suivre. Les problèmes de fond ne se règlent pas par la loi mais par l’éducation. L’actuelle ministre de l’Education prépare une liste de textes juifs importants qui devront être étudiés par les étudiants israéliens. C’est à mon sens une mesure positive, permettant d’instruire les Israéliens de textes largement méconnus appartenant à l’héritage juif.

Le dialogue interreligieux est de plus en plus prisé. Croyez-vous en son efficacité ?

“Il existe des éléments de soufisme dans le judaïsme.”

Isaac Lifshitz : Il ne peut être que positif. Le fils du Rambam, le rabbin Abraham Ben Moshé (également grand rabbin) avait un ami soufi. Abraham Ben Moshé a introduit certaines lois soufies dans le judaïsme, estimant que nous devions apprendre d’elles.

Le judaïsme préconise-t-il le compromis comme moyen de parvenir à la paix ?

Isaac Lifshitz : ‘Paix’ (Shalom) est l’un des noms de Dieu. Les bonnes relations avec autrui sont essentielles, mais ne doivent pas nous faire renier nos principes. Il est dit que le compromis est le lieu où la paix et la vérité se rencontrent. Dans Sanhédrin (Juges) 6b, R. Judah b. Korha dit : ‘Le règlement par arbitrage est une action méritoire. Appliquer le jugement de la vérité et de la paix dans vos demeures, [tenant compte du fait que] là où règne une justice stricte, il n’y a pas de paix, et que là où règne la paix ne règne pas une justice stricte!’ Le compromis est donc encouragé. Mais toutes les parties doivent y participer. (…)

Entretien intégral paru dans le Jérusalem Post sous le titre « Rencontre avec un homme d’esprit »

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