mercredi 7 octobre 2009

Le rayonnement de la Reine Rania au Moyen-Orient

Sur la page d’accueil du site en anglais de la Reine Rania de Jordanie, on peut lire : « Eduquer nos enfants, ce n’est pas juste leur assener des connaissances, c’est surtout (…) leur insuffler le plaisir d’apprendre tout au long de la vie, la créativité, l’expression et l’amour de la diversité. » Et de fait, dans ce Moyen-Orient tourmenté par la misère, l’ignorance et la haine, la Reine Rania a fait de l’éducation son principal cheval de bataille.

La Reine Rania : une reine inébranlable et une femme vulnérable

Adulée en Occident plus encore que dans les pays du Moyen-Orient (elle a même reçu la citoyenneté milanaise en signe d’hommage), la Reine Rania a ceci d’extraordinaire qu’elle fait l’unanimité : les critiques à son sujet sont quasiment inexistantes, ce dont ne peut se vanter aucune cible des médias, ni Carla Sarkozy, ni Michelle Obama. Rania est, de l’avis général, l’incarnation de la beauté, du bon goût, de la tenue, de l’intelligence. C’est en outre une diplomate accomplie : pas une bourde ne sort de la bouche de cette Palestinienne qui a grandi au Koweït et fait ses études à l’université américaine du Caire. En tant de crise, elle a prouvé qu’elle était capable de modérer ses propos ; dans ses discours, l’émotion est toujours dosée afin de servir des objectifs constructifs.

Qu’en est-il de ses sentiments réels, des émotions forcément humaines qui se cachent derrière cette façade royale ? De cela, rien ne transparaît au grand jour. Mais si tous les efforts sont faits par la Reine pour présenter la famille royale hachémite comme harmonieuse et unie, des sources murmurent que la reine nourrit une amitié soutenue pour Abdul Rahman Al-Rashed, directeur de la chaîne satellite Al-Arabiya, plus grande télévision satellite du monde arabe avec Al-Jazeera.

C’est d’ailleurs Al-Arabiya qui diffuse un dessin animé jordanien en 13 épisodes auquel la Reine a prêté en 2006 son nom et accordé son soutien : le peu convainquant « Ben and Izzy » (un Américain et un Jordanien), destiné à promouvoir la tolérance et la paix dans le monde.
La reine et Al-Rashed sont aperçus ensemble à Londres. Dans ce qui semble être un private joke, elle répond d’ailleurs en septembre 2008 à la question d’un journaliste de Condé Nast par cette phrase : « J’ai une histoire d’amour de longue date avec Londres ». Elle dit aussi : « J’aime tous les lieux où je peux me mêler aux autres en restant anonyme ! Le Royaume-Uni, et Londres en particulier, sont super pour ça… »

On apprend qu’il est question de divorce, que le couple hachémite fait chambre à part, que Hind Hariri, fille de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri et plus jeune milliardaire du monde, serait pressentie pour devenir la future reine de Jordanie. Mais la crise familiale est étouffée, le temps passe. Et le couple royal semble en sortir quasi indemne : elle endurcie, plus ferme que jamais dans ses combats pour l’éducation, la santé et la paix, se consacrant avec une énergie décuplée aux tâches qui justifient à 100% son statut : la lutte contre l’analphabétisme, la pauvreté, la maltraitance des enfants, pour l’instruction et le travail des femmes. Et dans ces combats, le roi Abdallah de Jordanie et son épouse sont entièrement solidaires.

L’Education et la protection de l’enfance : une priorité

Ayant pris le problème de l’Education en main, la Reine Rania ne ménage pas sa peine : en septembre 2008 à New York, elle se joint aux premiers ministres britannique et australien Gordon Brown et Kevin Rudd, et à Rama Yade pour la France, à l’occasion d’un sommet ayant pour thème « 2015 : l’Education pour tous », qui doit rappeler aux chefs d’Etat leur engagement à instaurer l’école primaire pour tous. « L’éducation est un droit, les filles comptent, et les écoles ne font pas que bâtir des vies ; elles les sauvent », déclare Rania. Elle rappelle que 774 millions d’adultes sont analphabètes, en majorité des femmes : Elle ajoute que la date fixée de 2015 pour remplir ces objectifs « n’est pas négociable » : « c’est une épreuve que nous ne pouvons pas nous permettre de rater. »

Ses efforts en matière d’éducation commencent toutefois chez elle, en Jordanie : Rania institue ainsi en 2006 un Prix d’excellence pour l’Education, visant à récompenser chaque année des enseignants hors pair, à valoriser le travail des enseignants et à mettre en lumière les stratégies éducatives qui marchent. Plus récemment encore, en avril 2008, elle lance le projet « Madrasati », visant à rénover 500 écoles publiques jordaniennes.

Les objectifs suivants sont fixés : propreté, matériel en bon état, chauffage en hiver, classes colorées et agréables, terrains de jeux et de sport, bibliothèque et salle d’ordinateurs dans chaque école. L’initiative individuelle est encouragée pour mener à bien ce projet : les entreprises privées et les bénévoles sont sollicités.

La Reine Rania vient en outre en aide aux enfants maltraités dans le cadre de la Jordan River Foundation (JRF), dont elle est la fondatrice : « [Autrefois en Jordanie], la maltraitance des enfants était un sujet tabou qui faisait honte (…) Aujourd’hui, elle se dénonce haut et fort. » En 2000, une maison d’accueil pour enfants maltraités était construite en Jordanie, le « Dar Al-Aman », première du genre dans le monde arabe.

Accorder aux femmes des moyens et une dignité

Les enfants ne sont pas l’unique cible de la Reine : elle dédie une grande partie de son temps à améliorer la condition des femmes dans son pays et dans toute la région. A l’origine d’un projet de micro finance rappelant les stratégies de Jacques Attali pour endiguer la misère dans le monde, la Fondation s’est attaquée à la pauvreté en Jordanie « non en accordant des poissons, mais en apprenant à pêcher », selon la métaphore, qui en est à peine une, employée par la Reine Rania : « Je voulais que la JRF aide ceux qui font leur possible pour créer une petite affaire mais qui n’ont pas la somme de départ nécessaire ou la moindre notion de comptabilité… ces mères qui savent faire de choses et souhaitent travaillent, mais qui veulent aussi rester chez elles pour élever leurs enfants… »

Cette initiative donne un nouvel élan à des traditions culturelles jordaniennes telles que le tissage de tapis ou la confection de paniers (…) » Avec une aide à l’acquisition du matériel de base, de nombreuses femmes ont réussi à se faire un petit revenu, vendant des tapis originaux (très prisés par les touristes) et montant parfois de petites entreprises où d’autres femmes sont employées.

« Le principe de base de la JRF est de créer des emplois par des projets générateurs de revenus. »

Les initiatives sociales de la JRF sont devenues un modèle dans tout le monde arabe, affirme la Reine Rania. Une conséquence inattendue, mais bienvenue des ces projets constructifs est, selon elle, « le changement des mentalités » qu’ils auraient suscité. Les individus auraient pris conscience que le développement n’est pas l’apanage du gouvernement, dont les moyens sont limités, mais relève également de la responsabilité des individus, « qui peuvent créer des coopératives et des emplois par eux-mêmes ».

Selon la Reine Rania, la situation des femmes dans le monde arabe évolue, les régimes comprenant que les femmes représentent 50% de la population et sont un potentiel économique qui, s’il était exploité, permettrait de faire un bond en avant. « Selon la Banque mondiale, le monde arabe fait partie des pays les plus dépensiers en matière d’éducation. Or dans les pays du Moyen-Orient, la majorité des étudiants à l’université sont des femmes. »

La Reine Rania sur Youtube : combattre les préjugés des Occidentaux sur les Arabes et les musulmans

Mais la Reine Rania entend aussi éduquer l’Occidental en modifiant l’image négative que celui-ci pourrait avoir des Orientaux. Elle voudrait « (…) accroître la compréhension entre les peuples de toutes les cultures, religions et milieux sociaux… montrer que nous avons tellement de choses en commun… Au-delà des considérations de race, de religion, de couleur ou de confession, les gens partagent les mêmes préoccupations et les mêmes valeurs ». Elle va jusqu’à comparer le danger de la violence déclarée à celui de « la méfiance qui éloigne les gens les uns des autres ».

Prenant une fois encore les choses en main, la reine Rania se crée un compte sur Youtube « parce que c’est un excellent lieu de dialogue et d’échanges ». Elle convie les internautes sur cette tribune virtuelle à lui faire part de leurs préjugés sur les Arabes et les musulmans. Plusieurs vidéos de la reine répondant aux préjugés et aux questions des internautes occidentaux sont ainsi mis en ligne. Ces réponses frappent par leur honnêteté et leur volonté de mettre l’accent sur l’aspect positif des pays du Moyen-Orient. La première vidéo de la reine Rania a été vue 1.4 millions de fois en quelques semaines, suscitant 83 réactions vidéo et 6000 commentaires écrits. « Il y a plus d’incompréhension que je ne le pensais, plus de colère et de parti pris, mais aussi plus d’intérêt, de soutien et d’engagement », dira-t-elle.

Nathalie Szerman

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