mercredi 11 mars 2009

Qui a peur du MEMRI ?

Le MEMRI effectue la veille des médias du Maghreb, du Moyen-Orient, du Pakistan et de l'Afghanistan. C’est lui qui a fait fermer Al-Manar en Europe et aux Etats-Unis et fait connaître au monde entier la Syrienne progressiste Wafa Sultan. L’institut intrigue, fait couler beaucoup d'encre, mais demeure pourtant largement méconnu

Nathalie Szerman (c) Jerusalem Post

Avec ses deux sites Internet qui mettent en ligne traductions d'articles de presse et extraits des télévisions arabes et iraniennes, et ses cinq blogs spécialisés, le MEMRI est une source d'informations sans équivalent dans laquelle puisent politiciens, journalistes et universitaires. Son rôle : effectuer une veille médiatique « pour combler le fossé de la langue ». A savoir décrypter des informations à partir de 5 langues de départ et les traduire intégralement en anglais et partiellement en huit autres langues, accompagnées des références précises vers les sources en arabe, farsi, turc, urdu ou pachto.

Tous les jours de nouveaux documents et les derniers "clips" sous-titrés en anglais sont mis en ligne. Certains de ces extraits vidéos, également traduits en français, sont accessibles à partir de la version française du site de l’institut (www.memri.org/french) : il s'agit de quatorze réformistes moyen-orientaux, dont le MEMRI a compilé les discours.


Progressistes du monde arabe, mais aussi djihadistes et antisémites : leurs propos sont traduits et mis en ligne, qu'il s'agisse de membres du gouvernement, d'éditorialistes ou de dignitaires religieux. Ce qui a fait dire à Abraham Nafie, directeur du journal égyptien Al-Ahram, qu' "il faut faire attention à ce que nous disons car le MEMRI pourrait nous relayer".


Si le célèbre chroniqueur du New York Times Thomas Friedman vante l' "expertise" du MEMRI, qu'il qualifie d' "inestimable" source d'informations, d'autres le taxent de machiavélisme. Comme le politologue Mohammad El-Oifi, qui, dans un article du Monde diplomatique, affirme que l’institut chercherait à "noircir les Arabes et les musulmans aux yeux des Occidentaux", aurait le pouvoir de faciliter l'octroi de visas aux Etats-Unis et d'ouvrir les portes de la Maison Blanche à ses poulains que seraient les Arabes réformistes : "(…) on leur facilite [aux "journalistes arabes libéraux et progressiste"] l'obtention de visas ainsi que l'accès aux médias et aux autorités américaines", écrit-il.


C'est que l'impact du MEMRI dépasse celui d'un simple institut académique. Les exemples sont légion : suite à la diffusion de ses propos, le cheikh Qaradhawi - à la tête du Conseil européen pour la Fatwa et la recherche - a été interdit d'entrée aux Etats-Unis ; le Centre Zayed de la Ligue arabe a été fermé ; le directeur d'Al-Ahram Ibrahim Nafie a été poursuivi pour propos diffamatoires et des exemplaires du Protocole des Sages de Sion ont été retirés de la bibliothèque d'Alexandrie.

Une tribune pour les réformistes du Moyen-Orient

Si certaines voix se sont tues grâce au MEMRI, beaucoup d'autres se voient offrir un haut-parleur. C’est le cas de Wafa Sultan. Fin février 2006 sur Al-Jazeera, une Syrienne prend la parole avec un aplomb qui laisse ses interlocuteurs bouche bée pour fustiger un certain islam. Mise en ligne sur le site de MEMRI TV elle est relayée par tous les grands quotidiens occidentaux, le Nouvel Observateur, Libération, le Figaro, le Monde, le New York Times. Wafa Sultan devient un phénomène.


Depuis, d'autres femmes, parfois voilées, telle la Saoudienne Wajiha Al-Huweidar, ont osé s'exprimer sur les ondes arabes pour s'élever contre les abus des régimes qui les oppriment. Wajiha Al-Huwaider s'est même laissé filmer au volant d'une voiture en Arabie saoudite, où les femmes n'ont pas le droit de conduire.


Ce faisant, le MEMRI a essuyé de nombreuses critiques : reprenant une accusation assez répandue, Mohammed El-Oifi lui reproche de diviser le monde arabe et musulman entre gentils et méchants, ou plus exactement entre "réformistes et islamistes". D'autres l’accusent de vouloir imposer un modèle démocratique à l'américaine.


Mais Yigal Carmon, fondateur de l’institut, ancien coordinateur en chef du déploiement national de la défense anti-terroriste (sous Itzhak Rabin) n’est pas de cet avis. Il entend se faire l'écho d'Omran Salman, directeur du site arabe réformiste http://www.aafaq.com/, qui accuse le président du Parlement européen de "racisme" et d' "opportunisme" : "Les populations arabes veulent aussi la liberté et la démocratie", écrit Salman. Et il est bien facile pour ceux qui bénéficient de la suprématie de la loi et vivent dans des pays qui respectent les Droits de l'Homme de prôner le multiculturalisme, ajoute Carmon. En outre, le MEMRI n'impose pas de démocratie à l'occidentale puisque les propos mis en ligne sont ceux des natifs de la région, souligne-t-il.

Le MEMRI acteur de l'actualité

Ne se contentant pas d’être une tribune, l'institut s'est notamment illustré en contribuant à faire interdire de diffusion Al-Manar. D'abord en France, puis en Europe et aux Etats-Unis. Fin 2003, le MEMRI alertait l'opinion sur le contenu de la série antisémite Al-Shatat (Diaspora) diffusé en 29 épisodes sur la chaîne libanaise du Hezbollah Al-Manar. Le feuilleton relatait l'histoire d'un complot juif sur plusieurs siècles pour dominer le monde, et comprenait notamment une scène de "meurtre rituel" d'un enfant chrétien. A l’époque, Al-Manar diffuse en France, visa Eutelsat. La LICRA contacte alors le MEMRI, qui lui communique l'intégralité de la série, dont de nombreux extraits sous-titrés en anglais. Alerté à son tour, le CRIF intervient auprès du CSA, qui adresse une mise en demeure à Al-Manar et demande au Conseil d'Etat l'arrêt de la diffusion de la chaîne. Ce qui sera fait en novembre 2004.


Le dernier projet en date du MEMRI porte sur la Toile, où les groupes djihadistes sont extrêmement actifs : forums, blogs, sites en plusieurs langues dont les adresses électroniques changent régulièrement dans le cadre de la chasse en ligne que leurs font les autorités gouvernementales… Les islamistes, répartis sur l'ensemble de la planète, n'ont souvent d'autre lieu de rencontre que cet espace virtuel. C’est là qu’ils conversent et se tiennent au courant de l'actualité djihadiste : via Internet, des manuels de fabrication d'armes et d'explosifs ont ainsi été diffusés, des attentats annoncés.


Le MEMRI est à l'affût de ces annonces, parfois mises en ligne en langage codé qu'il faut pouvoir décrypter et traque tout changement et évolution des diverses tendances intégristes : il arrive que des groupes abandonnent le djihad, tandis que d'autres se radicalisent. L’institut met en ligne l'adresse valide des grands forums en constant déplacement virtuel, prévient des attentats qui se préparent, met le doigt sur les fausses déclarations n'émanant pas véritablement d'islamistes, met en ligne toute une série d'informations portant sur l'actualité djihadiste. Ce service, nommé JTTM (Jihad and Terrorism Threat Monitor), gratuit jusque récemment est devenu payant suite à la crise financière. Le MEMRI est entièrement financé par des donateurs et des fondations privées.


Autre nouveauté MEMRI : un "briefing center" qui vient d’ouvrir à Jérusalem, à vocation éducative. Et de proposer présentations vidéo, conférences, visites guidées sur les sujets-phares de l'Institut : les médias arabes contemporains, l'antisémitisme et le négationnisme, les partisans de la réforme dans le monde arabe et musulman, le terrorisme à l'échelle régionale et mondiale, les racines du martyre, les sites djihadistes, la menace nucléaire iranienne, Jérusalem (Al-Qods) vue sous l'angle arabe et islamique.


D'une production prolifique, le MEMRI éveille les passions, autant pour être encensé que diabolisé. Pendant des années, des politiciens, dignitaires religieux et autres façonneurs d'opinion du monde arabe se sont habitués à un double langage : l'arabe pour leurs peuples et l'anglais pour l'Occident. Ceux-là ne voient pas l’institut d'un bon oeil. Et en Occident aussi, paradoxalement, certains préfèreraient occulter un discours trop bruyant, discordant, mettant à mal une vision parfois idéalisée du monde. Alors, qui a peur du MEMRI ?

Box : L’institut met en ligne l'adresse valide des grands forums en constant déplacement virtuel, prévient des attentats qui se préparent, met le doigt sur les fausses déclarations n'émanant pas véritablement d'islamistes, met en ligne toute une série d'informations portant sur l'actualité djihadiste.

Encadré :

Le MEMRI en chiffres

- Une veille de 16 heures sur 24 de près de 100 chaînes télévisées
- 80 chercheurs et traducteurs
- 5 langues de départ : arabe, persan ou farsi (langue parlée en Iran et Afghanistan), turc, urdu (Inde et Pakistan) et pachto (Afghanistan et Pakistan)
- 9 langues d’arrivée : anglais, français, espagnol, allemand, italien, hébreu, russe, chinois, japonais
- 2 sites Internet (http://www.memri.org/ et http://www.memritv.org/)
- 5 blogs spécialisés
- Un siège à Washington et des antennes en Europe, au Moyen-Orient et en Extrême-Orient
- Un conseil d’administration qui comprend Elie Wiesel, Bernard Lewis ou Paul Brenner
Nathalie Szerman (C) Jerusalem Post

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