dimanche 22 mars 2009

La position conflictuelle de l'Egypte face à la Guerre de Gaza

Dans la guerre qui a opposé le Hamas et Israël depuis le 27 décembre 2008, l'Egypte n'était pas neutre. La position clairement anti-Hamas du gouvernement égyptien, qui explique la modération de ses réactions face à l'offensive israélienne Plomb durci à Gaza, s’est toutefois démarqué du sentiment populaire, tout au moins tel que reflété par les prédicateurs, plus que jamais remontés contre "les Juifs".

Depuis des mois, l'Egypte s'efforçait de protéger ses frontières d'une infiltration de son territoire par le Hamas. L'Egypte redoutait notamment que le Hamas ne tente d'établir dans le Sinaï un Etat islamique, écrit Muhammad Ali Ibrahim, directeur du journal gouvernemental égyptien Al-Gumhouriyya.

Ces tensions entre le Hamas et l'Egypte contribuent à creuser le fossé, très sensible depuis la dernière guerre du Liban, entre deux blocs au Moyen-Orient : d'un côté l'Egypte et l'Arabie saoudite à la tête d'un bloc sunnite modéré, prêt à envisager la normalisation des relations avec Israël sous certaines conditions, de l'autre l'Iran, le Hezbollah, mais aussi la Syrie, le Hamas et certains groupes de résistance en Irak. Le Qatar, et parfois même la Turquie, sont accusés par le bloc sunnite de jouer un double jeu ou d'adhérer clairement au camp "chiite", qu'il serait plus exact de qualifier de "non-sunnite".

Côté iranien, des appels ont été lancés pour renverser les régimes égyptien et saoudien tandis que l'ancien ambassadeur d'Iran en Syrie Akbar Mohtashami-Pour fustige ouvertement l'Egypte (le 28 décembre sur la chaîne de nouvelles iraniennes IRINN) : "Le passage de Rafah est-il contrôlé par Israël ? La frontière de onze km de long avec Gaza et la Palestine est sous le contrôle des forces égyptiennes (…) le gouvernement égyptien collabore avec l'Amérique et Israël dans le massacre de la population de Gaza (…)"

Le moment de l'opération a donc vraisemblablement été choisi sur la base de considérations stratégiques par Israël, qui pouvait compter sur la modération des réactions de Mahmoud Abbas et de l'Egypte, menacés par le Hamas, ainsi que sur celle du camp sunnite dans son ensemble.

L'Egypte accuse le Hamas d'être au service des intérêts iraniens et syriens

Et de fait, les réactions des membres du gouvernement égyptien peuvent surprendre : l'Egypte a estimé que le Hamas causait plus de tort aux Palestiniens qu'Israël lui-même car il défendait les intérêts de la Syrie et de l'Iran, qui cherchent à alimenter le problème palestinien : Damas voudrait lier le problème palestinien à celui du Golan, tandis que l'Iran aurait besoin de la carte Hamas, qui lui confère une plus grande force politique, pour les négociations sur son programme nucléaire, estime Muhammad Ali Ibrahim dans ce journal (Al-Gumhouriyya) porte-parole du régime. En outre, ces deux pays chercheraient à instrumentaliser l'Egypte en le propulsant dans une guerre contre Israël qui les avantagerait. Quant au leader du Hamas Khaled Mechaal, "ses décisions sont contrôlées par Téhéran", affirme Ibrahim.

Ainsi, Ibrahim accuse le Hamas de tenir le peuple palestinien en otage alors que l'Egypte se préoccuperait du sort des Palestiniens : "Les positions du Hamas et de l'Egypte sont diamétralement opposées. Le Caire pense qu'il est impératif de sauver les Palestiniens de la catastrophe, tandis que le Hamas prétend qu'il n'y a rien de mal à ce qu'ils périssent tous, vu qu'ils deviendront martyrs et iront au Paradis", analyse Ibrahim.

Ne mettant de côté aucun argument contre le Hamas, Ibrahim n'oublie pas l'aspect religieux : "Ce que le Hamas a fait aux Palestiniens, pas même Israël ne l'a fait. Ce gouvernement est le premier gouvernement musulman au monde à empêcher ses citoyens de faire le Hajj [pèlerinage à la Mecque ndlr]". Ni l'aspect humain : "Et le Hamas est le troisième régime [arabe] à massacrer son propre peuple, après Saddam Hussein et Hafez El-Assad."

Le gouvernement égyptien contre Nasrallah

Outre les médias gouvernementaux, des membres du gouvernement ont aussi pris la parole. Ainsi Abu Al-Gheit, ministre égyptien des Affaires étrangères, a estimé que Nasrallah, qui avait appelé le peuple égyptien à "descendre dans la rue" pour se soulever contre son gouvernement, essayait de diviser l'Egypte : "Le cheikh Nasrallah a déclaré la guerre à l'Egypte. Il s'est adressé à l'armée et au peuple égyptien pour leur demander de susciter la même anarchie qu'au Liban." (sur Al-Arabiya le 2 janvier 2009 et relayé par memritv.org)

Il faut dire que Nasrallah savait ce qu'il faisait en interpellant le peuple et en le dissociant ainsi du gouvernement. Le peuple semble en effet plus que jamais remonté contre Israël et "les Juifs", contrairement au gouvernement Moubarak qui campe sur des positions modérées - si l'on en juge par les sermons des prédicateurs égyptiens, baromètre assez fiable du sentiment populaire : ainsi le religieux égyptien Safwat Higazi, mis en ligne sur http://www.memritv.org/ après que son discours eut été diffusé sur la chaîne télévisée du Hamas Al-Aqsa le 31 décembre 2008, dit : "Par Allah (…), si seulement je pouvais me tenir parmi les jeunes de Brigades Al-Qassam, leur tendre l'un de leurs missiles (…)"

La haine anti-juive des cheikhs égyptiens

Mais ce dernier ne se contente pas de manifester sa solidarité pour les adversaires d'Israël ; les "Juifs" sont clairement nommés : "le Jour du Jugement ne viendra pas tant que les musulmans n'auront pas combattu les Juifs. Les Juifs se cacheront derrière les pierres et les arbres, mais les pierres et les arbres diront : ô musulman, ô serviteur d'Allah, il y a un Juif derrière moi, viens le tuer."

Au fur à mesure de son sermon, le cheikh s'emporte : "Envoyez ces fils de singes et de porcs dans le feu de l'Enfer, sur les ailes des roquettes Qassam !" ou encore : "Les Juifs, doucereux comme une vipère, se léchant les lèvres comme un serpent moucheté, ne vivront jamais en bonne harmonie et en paix avec nous. Ils méritent d'être tués. Ils méritent de mourir."

Des propos exceptionnels, non représentatifs ? Qu'on en juge : Sur les seules chaînes Al-Nas et Al-Rahma, en deux jours seulement (28 et 29 décembre 2008), une flopée de cheikhs égyptiens hargneux ont été entendus, sans que leurs propos ne génèrent la moindre réaction de la part du public (les extraits suivants ont été mis en ligne sur memritv.org) :

Le cheikh égyptien Muhammad Al-Saghir : "Je dis au peuple de Gaza : prenez mon cœur, devenu dur comme la pierre. Prenez-le et servez-vous en pour lapider les Juifs." Le cheikh égyptien Muhammad Mustafa : "Si 20 millions de personnes peuvent encercler la terre, 20 millions de personnes peuvent bien noyer Israël dans une mer de sang." Le cheikh égyptien Muhammad Hassan : "Les Juifs ne comprennent que la force (…) Ce sont des sangsues qui versent le sang." Le cheikh égyptien Amin Al-Ansari : "On relate que les Israélites ont tué plus de 70 000 prophètes en un seul jour. Ce n'est pas la population qu'ils veulent éradiquer ; c'est la Révélation elle-même." Le cheikh et Dr Sallah Sultan : "La pierre lancée sur les Juifs hait ces Juifs (…) Le Protocole des Sages de Sion est une tentative pour gouverner et corrompre le monde entier." Le cheikh Muhammad Al-Gheini : "La vérité est que je ne comprends pas pourquoi ces fils de singes font ce qu'ils font (…)"

Et laissons le mot de la fin au cheikh égyptien Muhammad Hussein Yaqub, qui a le mérite de fournir une explication à ce flot de haine : "Notre haine des Juifs croît quand nous les voyons détruire nos frères. Nous bouillons de fureur (…) Si seulement nous pouvions étrangler les Juifs criminels (…) Si seulement nous pouvions étrangler les Juifs de nos mains nues et leur arracher la tête avec nos dents, pas avec nos armes (…)"

Comme on le voit, il existe actuellement un fossé important entre la ligne gouvernementale anti-Hamas suivie par le gouvernement de Moubarak et le sentiment "religieux" populaire, qui dépasse les frontières de l'Egypte... Cela nous fait dire que la paix n'arrivera pas le jour où un cessez-le-feu aura été signé mais celui où l'éducation commencera à porter ses fruits. Cette éducation, il ne faut toutefois pas trop compter sur les enseignants de la région pour la prodiguer. Plutôt sur Internet, porte ouverte sur le monde à laquelle se connectent de plus en plus de jeunes, même dans les pays pauvres, mais à condition d'y poursuivre une guerre virtuelle sans merci contre les intégristes…

Nathalie Szerman (C) Israël Magazine

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