La France dans les eaux troubles du Moyen-Orient
En créant l'Union pour la Méditerranée, en sortant la Syrie de son isolement, en co-présidant avec Hosni Moubarak le sommet de Charm El Cheikh sur la Reconstruction de Gaza, la France entend participer activement à l'instauration de la paix dans la région. Mais les écueils sont nombreux, et il n'est pas certain que Sarkozy ait su les éviter.
L’Union pour la Méditerranée face à la désunion du Moyen-Orient
Avec son ambitieux projet d’Union pour la Méditerranée (UPM), dont le coup d’envoi a été donné en juillet dernier à Paris, la France devait planter au Moyen-Orient les graines d’une paix concrète : projet économique et éducatif commun aux pays de la Méditerranée, l'UPM était une promesse de prospérité pour tous. La Syrie a été sortie de son isolement à cette occasion et conviée au sommet de Paris.
Projet ambitieux, courageux et généreux, qui occultait toutefois la dualité profonde du Moyen-Orient : le face-à-face de plus en plus rigide de deux blocs qui ne cessent de se préciser : l’axe iranien, très clairement devenu depuis la conférence de Doha du 16 janvier 2009 l’axe Iran-Syrie-Qatar-Hezbollah-Hamas, lorgnant en outre la Turquie. Face à ce camp, celui des pays sunnites modérés : l’Egypte, l’Arabie saoudite, la Jordanie et les autres. C’est là le fossé qui se creuse inexorablement, et par à coups, au Moyen-Orient, depuis la Révolution islamique d’Iran, avec la Guerre du Liban de 2006 et le clash consécutif de 2008 entre Hezbollah et Forces du 14 Mars, enfin avec la Guerre de Gaza, où la position de l’Egypte, très ferme vis-à-vis du Hamas, s’est opposée à celle de l’Iran, du Qatar et de la Syrie. Certains font remonter ce clash aux anciens conflits entre Arabes et Perses.
Cet affrontement a été qualifié pour la première fois de « Guerre froide » par un journaliste du Monde, en référence aux dissensions au sein de la Ligue arabe. Il se manifeste au Liban avec acuité : « La discorde politique opposant prosyriens et anti-syriens s'est transformée en un fossé aussi profond que dangereux pour la stabilité du pays (…) Campés sur leurs territoires, deux Orients libanais se jaugent : l'un s'inspirant des monarchies pétrolières du Golfe, l'autre reproduisant sur ses murs les grandes figures héroïques de l'Iran révolutionnaire », lit-on aussi dans le Monde (28 février 2009).
Faire du Hamas un interlocuteur et de la Syrie un émissaire : un beau rêve
Mais le gouvernement Sarkozy, qui manifeste une volonté unificatrice à toute épreuve, a délibérément refusé la logique des camps qui s'affrontent, du "with me or against me" de Bush, assurément passé de mode. Ainsi, on envisage de discuter avec le Hamas, plus représentatif que le Fatah, paraît-il, et de faire de la Syrie un intermédiaire dans les pourparlers avec l’Iran.
Dans une interview, Jean-François Poncet, vice-président UMP de la commission des affaires étrangères du Sénat, explique au sujet du Hamas : "Ce mouvement a aujourd'hui une audience réelle parmi les Palestiniens, probablement plus que n'en a Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne". Il ajoute, malgré la réalité des roquettes qui continuent de tomber sur le sud d'Israël : "Le Hamas est encore sur la liste des organisations terroristes, mais nous avons le sentiment que cette phase de son développement est dépassée." le Hamas a ainsi été qualifié d’« interlocuteur » par Bernard Kouchner.
Cette volonté de modifier l'approche des problèmes pour mieux les désamorcer et éviter les effusions de sang a un (ou deux) inconvénients majeurs : elle confère une marge de manoeuvre, sémantique et autre, aux entités du bloc iranien, les renforce face aux modérés, sans assurer qu'il y aura une contrepartie :
En faisant valoir à Bashar Al-Assad les avantages de la coopération avec l’Europe et d'une reconnaissance internationale (la Syrie mène depuis des discussions avec Washington), la France espérait sans doute briser l’axe irano-syrien et isoler l'Iran. Elle espérait au moins une contrepartie : quelques pressions sur l’Iran pour faciliter les négociations nucléaires, et sur le dirigeant du Hamas Khaled Mechaal, basé à Damas, pour stopper les violences. Ainsi, Paris a suggéré à George Mitchell, envoyé spécial des Etats-Unis au Moyen-Orient, de faire passer des messages à l’Iran via la Syrie.
En surtout, la Syrie avait promis une mesure tangible : la nomination d'un ambassadeur au Liban avant fin 2008. L’ambassadeur, c’est l’anti-occupant, l’anti-agent. C’est l’acceptation officielle de deux entités autonomes. Le mérite en serait revenu à la France et le Liban des Forces du 14 mars n'aurait pas été trop fâché de la nouvelle reconnaissance internationale accordée à la Syrie.
La Syrie n’a pas tenu ses engagements
Depuis, l’immeuble de l’ambassade est prêt à recevoir le diplomate et le drapeau syrien flotte même dans le ciel libanais, mais où est donc l’ambassadeur, dont nul ne connaît encore le nom ? Deux mois de retard et toujours rien. Le Liban, en revanche, a déjà nommé son ambassadeur en Syrie, Michel El-Khoury. En sortant la Syrie de son isolement, la France a donc renforcé l’axe irano-syrien, vu qu’Assad n’a jamais manifesté la moindre intention d’exercer des pressions sur l’Iran, le Hamas ou de reconnaître la souveraineté du Liban. Tous en Europe ne sont d'ailleurs pas prêts à suivre la voie témérairement ouverte par la France : les pays du Nord, les Pays-Bas et l’Italie veulent une position plus dure, tandis que l’Allemagne a le cœur qui balance.
D’ailleurs, il semblerait que l’on commence à déchanter au gouvernement : le 23 février, le quotidien Al-Sharq Al-Awsat faisait part de la "déception" de Kouchner, qui déclarait ne pas avoir d’explication au retard et précisait que si la Syrie envisageait de ne pas envoyer d’ambassadeur, ce serait “grave”.
L'Iran : la puissance à isoler
En revanche, la France ne semble se faire aucune illusion sur les aspirations militaires de l'Iran. En janvier dernier, adressant ses voeux au Corps diplomatique, Sarkozy avait déclaré que le programme nucléaire iranien n'avait "aucune finalité civile". "Le moment approche où un choix devra être fait par les dirigeants iraniens : soit ils provoquent une grave confrontation avec la communauté internationale, soit, ce que la France souhaite, on arrive enfin à une solution dans la négociation engagée depuis, tenez-vous bien, cinq ans", avait-il ajouté.
La déclaration commune du 3 février de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel sur "La sécurité, notre mission commune", va dans le même sens : "[Le régime de non-prolifération] est confronté actuellement au plus grand défi de son histoire : le programme nucléaire iranien. Téhéran table ouvertement sur l'absence de réaction internationale face à ses agissements. Nous ne permettrons pas l'accès de l'Iran à l'arme nucléaire, car ce serait une grave menace pour la paix mondiale." La déclaration reconnaît en outre qu' "aucun progrès" n'a été accompli dans la résolution de la crise nucléaire avec l'Iran.
Le sommet de Charm El Cheikh et le repositionnement subtil de la France
Lors du sommet de Charm El Cheikh du 2 mars sur la reconstruction de Gaza, co-présidé par Moubarak et Sarkozy, il semble que le président français ait quelque peu modifié sa position sur l'échiquier moyen-oriental, laissant percevoir une conscience plus aiguisée de la présence incontournable des deux blocs et de la nécessité de se situer du bon côté. Ainsi a-t-il déclaré : "Tous les Palestiniens doivent se rassembler dans ce gouvernement d'union derrière le président Abbas". "Derrière Abbas", expression qui tranche avec les propos de François-Poncet, qui déclarait, le 3 février 2009 : "On parle de rassembler les Palestiniens, ce qui signifie réunir Abou Mazen [Mahmoud Abbas] et le Hamas dans un gouvernement d'union nationale.", mettant les deux factions sur un pied d'égalité.
A l'occasion du sommet de Charm El Cheikh, Sarkozy signifie en outre à la Syrie que le temps de la contrepartie est arrivé : "Je dis aux pays qui ont des liens avec le Hamas : vous avez une responsabilité particulière pour exiger du Hamas qu'il rejoigne le président Abbas (…)."
Sarkozy a également appuyé l'Egypte lors du sommet : "C'est autour de la démarche égyptienne que les gens se retrouvent." L'Egypte retrouve un rôle de première importance, après qu'il lui fut reproché d'avoir échoué dans les négociations inter-palestiniennes. En soutenant Abbas et Moubarak, la France se repositionne subtilement du côté du bloc des Etats modérés. On ne peut que s'en réjouir, car c’est en appuyant les puissances modérées que l’on peut espérer contribuer à une paix concrète et obtenir le meilleur de l'UPM, aujourd'hui "institutionnellement suspendue"…
Nathalie Szerman (c) Jérusalem Post
dimanche 29 mars 2009
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