Isaac Lifshitz, rabbin, docteur en philosophie, violoniste et ceinture noire d’aïkido établi à Jérusalem, est avant tout un homme d’esprit. A une époque où les approches religieuses dogmatiques ne sont pas peu prisées, Isaac Lifshitz tente de redonner toute sa place à l’esprit et toute sa valeur à la notion de mesure. Nous l’avons rencontré au Mercaz Shalem de Jérusalem, où il est chercheur. Mise au point autour de quelques idées clé :
(…) La pratique de l’aïkido a-t-elle une influence sur votre pratique du judaïsme ?
Isaac Lifshitz : Beaucoup me posent cette question. L’aïkido contient en effet un élément de paganisme, qui se manifeste notamment par le lien privilégié qu’il entretient avec la nature. Le fondateur de l’aïkido, Morihei Ueshiba, était un prêtre shintoïste. Il serait faux de dire que le judaïsme et l’aïkido sont parfaitement compatibles. Le judaïsme est toutefois une religion très ancienne, et en tant que telle respecte la nature.
Un exemple : le tabernacle est une construction en bois recouverte d’or, et suit donc les règles relatives au bois : un tronc doit être tenu racines en bas, branches en haut, en harmonie avec la nature. A Souccoth, nous tenons le loulav dans une position similaire. Le shabbat est aussi une obligation qui entre en harmonie avec la nature : une fois par semaine, nous cessons de créer. L’activité créatrice est en effet contre nature : elle est une manifestation du contrôle de l’homme sur la nature.
L’idolâtrie, qui se manifestait autrefois par des sacrifices aux forces déifiées de la nature, existe-t-elle encore aujourd’hui ?
“Les pratiques magiques existent encore parmi les Juifs – à travers l’utilisation de la Cabbale.“
Isaac Lifshitz : L’idolâtrie et les pratiques magiques existent encore au Moyen-Orient. Pas seulement chez les peuples qui nous entourent mais également chez les Juifs – à travers l’utilisation de la Cabbale ou certaines croyances, comme celle qui consiste à croire que boire de l’eau sacrée peut guérir. L’idolâtrie relève de l’adoration, alors que la magie consiste en manipulations irrationnelles destinées à modifier le réel.
Dans les faits, idolâtrie et pratiques magiques sont fréquemment liées et Maïmonide les dénonçait avec la même vigueur. Les pratiques magiques continuent d’exister au sein de certains courants cabalistiques du judaïsme : à travers la cabbale, certains étudient les mécanismes divins et les sphères supérieures afin de manipuler Dieu ; l’utilisation des lettres hébraïques, des versets bibliques et certaines actions irrationnelles ont pour objectif d’inciter Dieu à agir dans un sens ou un autre. C’est pourquoi de nombreux rabbins à travers l’histoire se sont opposés avec force à l’étude du mysticisme juif. (…) Le terme ‘idolâtrie’ est aussi employé en référence à l’adoration que certains ont pour le foot, l’argent, mais ce n’est là qu’une extension de l’application du terme, un abus de langage.
Comment définiriez-vous le rapport de l’Homme à Dieu dans le judaïsme ?
L’Homme et Dieu : “une relation égalitaire”
Isaac Lifshitz : Certains commentateurs talmudiques estiment que Dieu ne souhaitait pas qu’Abraham le prenne au sérieux au moment du sacrifice d’Isaac. Dieu veut que l’Homme discute avec lui. Nous le voyons avec Moïse : Moïse n’acceptait pas systématiquement les ordres de Dieu. Nous le constatons aussi avec Abraham, qui a discuté avec Dieu au sujet de la destruction de Sodome et Gomorrhe. La relation est beaucoup plus égalitaire qu’on ne le croit. Le judaïsme accorde une place d’honneur à l’Homme : l’Homme n’est pas tenu de tout accepter sans mot dire. Certains textes talmudiques évoquent une relation étonnamment amicale entre l’Homme et Dieu. Martin Buber, et d’autres penseurs juifs du début du XXème siècle, placent la relation entre l’Homme et Dieu, plutôt que Dieu seul, au cœur de la pratique juive.
La théocratie, où Dieu gouverne, vaut-elle mieux que la démocratie, où c’est le peuple qui gouverne ?
“La Torah laisse l’homme libre de choisir le régime qui lui plaît.”
Isaac Lifshitz : La loi juive ne recommande pas la théocratie. La pensée juive ne croit pas aux régimes ; dans la Torah, on entend deux fois parler de régime, dans le premier cas d’un régime de juges et dans le second cas de monarchie. Il s’agit dans les deux cas de suggestions de non Juifs : il est dit que si le peuple juif souhaite ressembler aux peuples qui l’entourent en ayant un roi, cela lui est permis. La Torah ne propose pas de régime politique car ce n’est pas là son domaine. Le peuple juif peut organiser sa vie politique comme il l’entend.
La Torah est-elle contre la séparation de la religion et de l’Etat ?
Isaac Lifshitz : Si plusieurs rabbins s’opposent à la séparation de la religion et de l’Etat, ce n’est pas par respect de la halakha [loi juive] mais pour préserver le judaïsme et le peuple juif. Ils veulent que l’Etat juif se comporte comme tel. Leurs motivations sont nationales. Je peux les comprendre, mais je pense que le prix à payer est trop élevé. Le nombre de couples qui choisissent d’aller se marier à Chypre est trop important pour être indéfiniment ignoré.
La séparation de la religion et de l’Etat : « La loi juive est faite pour ceux qui sont prêts à la suivre. »
L’ancien grand rabbin sépharade Bakshi-Doron souhaitait la séparation de la religion et de l’Etat. Il estimait que le mariage civil devait être permis en Israël. La situation actuelle est en effet problématique, et pas seulement dans le cas des mariages mixtes : il arrive fréquemment que deux personnes se marient conformément à la loi juive, mais ne divorcent pas selon les règles, ce qui engendre des problèmes. Or s’ils ne s’étaient pas mariés conformément à la halakha [loi juive], la séparation ne serait pas aussi problématique.
La loi juive sied aux personnes qui sont désireuses de la suivre. Les problèmes de fond ne se règlent pas par la loi mais par l’éducation. L’actuelle ministre de l’Education prépare une liste de textes juifs importants qui devront être étudiés par les étudiants israéliens. C’est à mon sens une mesure positive, permettant d’instruire les Israéliens de textes largement méconnus appartenant à l’héritage juif.
Le dialogue interreligieux est de plus en plus prisé. Croyez-vous en son efficacité ?
“Il existe des éléments de soufisme dans le judaïsme.”
Isaac Lifshitz : Il ne peut être que positif. Le fils du Rambam, le rabbin Abraham Ben Moshé (également grand rabbin) avait un ami soufi. Abraham Ben Moshé a introduit certaines lois soufies dans le judaïsme, estimant que nous devions apprendre d’elles.
Le judaïsme préconise-t-il le compromis comme moyen de parvenir à la paix ?
Isaac Lifshitz : ‘Paix’ (Shalom) est l’un des noms de Dieu. Les bonnes relations avec autrui sont essentielles, mais ne doivent pas nous faire renier nos principes. Il est dit que le compromis est le lieu où la paix et la vérité se rencontrent. Dans Sanhédrin (Juges) 6b, R. Judah b. Korha dit : ‘Le règlement par arbitrage est une action méritoire. Appliquer le jugement de la vérité et de la paix dans vos demeures, [tenant compte du fait que] là où règne une justice stricte, il n’y a pas de paix, et que là où règne la paix ne règne pas une justice stricte!’ Le compromis est donc encouragé. Mais toutes les parties doivent y participer. (…)
Entretien intégral paru dans le Jérusalem Post sous le titre « Rencontre avec un homme d’esprit »
mercredi 7 octobre 2009
Le rayonnement de la Reine Rania au Moyen-Orient
Sur la page d’accueil du site en anglais de la Reine Rania de Jordanie, on peut lire : « Eduquer nos enfants, ce n’est pas juste leur assener des connaissances, c’est surtout (…) leur insuffler le plaisir d’apprendre tout au long de la vie, la créativité, l’expression et l’amour de la diversité. » Et de fait, dans ce Moyen-Orient tourmenté par la misère, l’ignorance et la haine, la Reine Rania a fait de l’éducation son principal cheval de bataille.
La Reine Rania : une reine inébranlable et une femme vulnérable
Adulée en Occident plus encore que dans les pays du Moyen-Orient (elle a même reçu la citoyenneté milanaise en signe d’hommage), la Reine Rania a ceci d’extraordinaire qu’elle fait l’unanimité : les critiques à son sujet sont quasiment inexistantes, ce dont ne peut se vanter aucune cible des médias, ni Carla Sarkozy, ni Michelle Obama. Rania est, de l’avis général, l’incarnation de la beauté, du bon goût, de la tenue, de l’intelligence. C’est en outre une diplomate accomplie : pas une bourde ne sort de la bouche de cette Palestinienne qui a grandi au Koweït et fait ses études à l’université américaine du Caire. En tant de crise, elle a prouvé qu’elle était capable de modérer ses propos ; dans ses discours, l’émotion est toujours dosée afin de servir des objectifs constructifs.
Qu’en est-il de ses sentiments réels, des émotions forcément humaines qui se cachent derrière cette façade royale ? De cela, rien ne transparaît au grand jour. Mais si tous les efforts sont faits par la Reine pour présenter la famille royale hachémite comme harmonieuse et unie, des sources murmurent que la reine nourrit une amitié soutenue pour Abdul Rahman Al-Rashed, directeur de la chaîne satellite Al-Arabiya, plus grande télévision satellite du monde arabe avec Al-Jazeera.
C’est d’ailleurs Al-Arabiya qui diffuse un dessin animé jordanien en 13 épisodes auquel la Reine a prêté en 2006 son nom et accordé son soutien : le peu convainquant « Ben and Izzy » (un Américain et un Jordanien), destiné à promouvoir la tolérance et la paix dans le monde.
La reine et Al-Rashed sont aperçus ensemble à Londres. Dans ce qui semble être un private joke, elle répond d’ailleurs en septembre 2008 à la question d’un journaliste de Condé Nast par cette phrase : « J’ai une histoire d’amour de longue date avec Londres ». Elle dit aussi : « J’aime tous les lieux où je peux me mêler aux autres en restant anonyme ! Le Royaume-Uni, et Londres en particulier, sont super pour ça… »
On apprend qu’il est question de divorce, que le couple hachémite fait chambre à part, que Hind Hariri, fille de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri et plus jeune milliardaire du monde, serait pressentie pour devenir la future reine de Jordanie. Mais la crise familiale est étouffée, le temps passe. Et le couple royal semble en sortir quasi indemne : elle endurcie, plus ferme que jamais dans ses combats pour l’éducation, la santé et la paix, se consacrant avec une énergie décuplée aux tâches qui justifient à 100% son statut : la lutte contre l’analphabétisme, la pauvreté, la maltraitance des enfants, pour l’instruction et le travail des femmes. Et dans ces combats, le roi Abdallah de Jordanie et son épouse sont entièrement solidaires.
L’Education et la protection de l’enfance : une priorité
Ayant pris le problème de l’Education en main, la Reine Rania ne ménage pas sa peine : en septembre 2008 à New York, elle se joint aux premiers ministres britannique et australien Gordon Brown et Kevin Rudd, et à Rama Yade pour la France, à l’occasion d’un sommet ayant pour thème « 2015 : l’Education pour tous », qui doit rappeler aux chefs d’Etat leur engagement à instaurer l’école primaire pour tous. « L’éducation est un droit, les filles comptent, et les écoles ne font pas que bâtir des vies ; elles les sauvent », déclare Rania. Elle rappelle que 774 millions d’adultes sont analphabètes, en majorité des femmes : Elle ajoute que la date fixée de 2015 pour remplir ces objectifs « n’est pas négociable » : « c’est une épreuve que nous ne pouvons pas nous permettre de rater. »
Ses efforts en matière d’éducation commencent toutefois chez elle, en Jordanie : Rania institue ainsi en 2006 un Prix d’excellence pour l’Education, visant à récompenser chaque année des enseignants hors pair, à valoriser le travail des enseignants et à mettre en lumière les stratégies éducatives qui marchent. Plus récemment encore, en avril 2008, elle lance le projet « Madrasati », visant à rénover 500 écoles publiques jordaniennes.
Les objectifs suivants sont fixés : propreté, matériel en bon état, chauffage en hiver, classes colorées et agréables, terrains de jeux et de sport, bibliothèque et salle d’ordinateurs dans chaque école. L’initiative individuelle est encouragée pour mener à bien ce projet : les entreprises privées et les bénévoles sont sollicités.
La Reine Rania vient en outre en aide aux enfants maltraités dans le cadre de la Jordan River Foundation (JRF), dont elle est la fondatrice : « [Autrefois en Jordanie], la maltraitance des enfants était un sujet tabou qui faisait honte (…) Aujourd’hui, elle se dénonce haut et fort. » En 2000, une maison d’accueil pour enfants maltraités était construite en Jordanie, le « Dar Al-Aman », première du genre dans le monde arabe.
Accorder aux femmes des moyens et une dignité
Les enfants ne sont pas l’unique cible de la Reine : elle dédie une grande partie de son temps à améliorer la condition des femmes dans son pays et dans toute la région. A l’origine d’un projet de micro finance rappelant les stratégies de Jacques Attali pour endiguer la misère dans le monde, la Fondation s’est attaquée à la pauvreté en Jordanie « non en accordant des poissons, mais en apprenant à pêcher », selon la métaphore, qui en est à peine une, employée par la Reine Rania : « Je voulais que la JRF aide ceux qui font leur possible pour créer une petite affaire mais qui n’ont pas la somme de départ nécessaire ou la moindre notion de comptabilité… ces mères qui savent faire de choses et souhaitent travaillent, mais qui veulent aussi rester chez elles pour élever leurs enfants… »
Cette initiative donne un nouvel élan à des traditions culturelles jordaniennes telles que le tissage de tapis ou la confection de paniers (…) » Avec une aide à l’acquisition du matériel de base, de nombreuses femmes ont réussi à se faire un petit revenu, vendant des tapis originaux (très prisés par les touristes) et montant parfois de petites entreprises où d’autres femmes sont employées.
« Le principe de base de la JRF est de créer des emplois par des projets générateurs de revenus. »
Les initiatives sociales de la JRF sont devenues un modèle dans tout le monde arabe, affirme la Reine Rania. Une conséquence inattendue, mais bienvenue des ces projets constructifs est, selon elle, « le changement des mentalités » qu’ils auraient suscité. Les individus auraient pris conscience que le développement n’est pas l’apanage du gouvernement, dont les moyens sont limités, mais relève également de la responsabilité des individus, « qui peuvent créer des coopératives et des emplois par eux-mêmes ».
Selon la Reine Rania, la situation des femmes dans le monde arabe évolue, les régimes comprenant que les femmes représentent 50% de la population et sont un potentiel économique qui, s’il était exploité, permettrait de faire un bond en avant. « Selon la Banque mondiale, le monde arabe fait partie des pays les plus dépensiers en matière d’éducation. Or dans les pays du Moyen-Orient, la majorité des étudiants à l’université sont des femmes. »
La Reine Rania sur Youtube : combattre les préjugés des Occidentaux sur les Arabes et les musulmans
Mais la Reine Rania entend aussi éduquer l’Occidental en modifiant l’image négative que celui-ci pourrait avoir des Orientaux. Elle voudrait « (…) accroître la compréhension entre les peuples de toutes les cultures, religions et milieux sociaux… montrer que nous avons tellement de choses en commun… Au-delà des considérations de race, de religion, de couleur ou de confession, les gens partagent les mêmes préoccupations et les mêmes valeurs ». Elle va jusqu’à comparer le danger de la violence déclarée à celui de « la méfiance qui éloigne les gens les uns des autres ».
Prenant une fois encore les choses en main, la reine Rania se crée un compte sur Youtube « parce que c’est un excellent lieu de dialogue et d’échanges ». Elle convie les internautes sur cette tribune virtuelle à lui faire part de leurs préjugés sur les Arabes et les musulmans. Plusieurs vidéos de la reine répondant aux préjugés et aux questions des internautes occidentaux sont ainsi mis en ligne. Ces réponses frappent par leur honnêteté et leur volonté de mettre l’accent sur l’aspect positif des pays du Moyen-Orient. La première vidéo de la reine Rania a été vue 1.4 millions de fois en quelques semaines, suscitant 83 réactions vidéo et 6000 commentaires écrits. « Il y a plus d’incompréhension que je ne le pensais, plus de colère et de parti pris, mais aussi plus d’intérêt, de soutien et d’engagement », dira-t-elle.
Nathalie Szerman
La Reine Rania : une reine inébranlable et une femme vulnérable
Adulée en Occident plus encore que dans les pays du Moyen-Orient (elle a même reçu la citoyenneté milanaise en signe d’hommage), la Reine Rania a ceci d’extraordinaire qu’elle fait l’unanimité : les critiques à son sujet sont quasiment inexistantes, ce dont ne peut se vanter aucune cible des médias, ni Carla Sarkozy, ni Michelle Obama. Rania est, de l’avis général, l’incarnation de la beauté, du bon goût, de la tenue, de l’intelligence. C’est en outre une diplomate accomplie : pas une bourde ne sort de la bouche de cette Palestinienne qui a grandi au Koweït et fait ses études à l’université américaine du Caire. En tant de crise, elle a prouvé qu’elle était capable de modérer ses propos ; dans ses discours, l’émotion est toujours dosée afin de servir des objectifs constructifs.
Qu’en est-il de ses sentiments réels, des émotions forcément humaines qui se cachent derrière cette façade royale ? De cela, rien ne transparaît au grand jour. Mais si tous les efforts sont faits par la Reine pour présenter la famille royale hachémite comme harmonieuse et unie, des sources murmurent que la reine nourrit une amitié soutenue pour Abdul Rahman Al-Rashed, directeur de la chaîne satellite Al-Arabiya, plus grande télévision satellite du monde arabe avec Al-Jazeera.
C’est d’ailleurs Al-Arabiya qui diffuse un dessin animé jordanien en 13 épisodes auquel la Reine a prêté en 2006 son nom et accordé son soutien : le peu convainquant « Ben and Izzy » (un Américain et un Jordanien), destiné à promouvoir la tolérance et la paix dans le monde.
La reine et Al-Rashed sont aperçus ensemble à Londres. Dans ce qui semble être un private joke, elle répond d’ailleurs en septembre 2008 à la question d’un journaliste de Condé Nast par cette phrase : « J’ai une histoire d’amour de longue date avec Londres ». Elle dit aussi : « J’aime tous les lieux où je peux me mêler aux autres en restant anonyme ! Le Royaume-Uni, et Londres en particulier, sont super pour ça… »
On apprend qu’il est question de divorce, que le couple hachémite fait chambre à part, que Hind Hariri, fille de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri et plus jeune milliardaire du monde, serait pressentie pour devenir la future reine de Jordanie. Mais la crise familiale est étouffée, le temps passe. Et le couple royal semble en sortir quasi indemne : elle endurcie, plus ferme que jamais dans ses combats pour l’éducation, la santé et la paix, se consacrant avec une énergie décuplée aux tâches qui justifient à 100% son statut : la lutte contre l’analphabétisme, la pauvreté, la maltraitance des enfants, pour l’instruction et le travail des femmes. Et dans ces combats, le roi Abdallah de Jordanie et son épouse sont entièrement solidaires.
L’Education et la protection de l’enfance : une priorité
Ayant pris le problème de l’Education en main, la Reine Rania ne ménage pas sa peine : en septembre 2008 à New York, elle se joint aux premiers ministres britannique et australien Gordon Brown et Kevin Rudd, et à Rama Yade pour la France, à l’occasion d’un sommet ayant pour thème « 2015 : l’Education pour tous », qui doit rappeler aux chefs d’Etat leur engagement à instaurer l’école primaire pour tous. « L’éducation est un droit, les filles comptent, et les écoles ne font pas que bâtir des vies ; elles les sauvent », déclare Rania. Elle rappelle que 774 millions d’adultes sont analphabètes, en majorité des femmes : Elle ajoute que la date fixée de 2015 pour remplir ces objectifs « n’est pas négociable » : « c’est une épreuve que nous ne pouvons pas nous permettre de rater. »
Ses efforts en matière d’éducation commencent toutefois chez elle, en Jordanie : Rania institue ainsi en 2006 un Prix d’excellence pour l’Education, visant à récompenser chaque année des enseignants hors pair, à valoriser le travail des enseignants et à mettre en lumière les stratégies éducatives qui marchent. Plus récemment encore, en avril 2008, elle lance le projet « Madrasati », visant à rénover 500 écoles publiques jordaniennes.
Les objectifs suivants sont fixés : propreté, matériel en bon état, chauffage en hiver, classes colorées et agréables, terrains de jeux et de sport, bibliothèque et salle d’ordinateurs dans chaque école. L’initiative individuelle est encouragée pour mener à bien ce projet : les entreprises privées et les bénévoles sont sollicités.
La Reine Rania vient en outre en aide aux enfants maltraités dans le cadre de la Jordan River Foundation (JRF), dont elle est la fondatrice : « [Autrefois en Jordanie], la maltraitance des enfants était un sujet tabou qui faisait honte (…) Aujourd’hui, elle se dénonce haut et fort. » En 2000, une maison d’accueil pour enfants maltraités était construite en Jordanie, le « Dar Al-Aman », première du genre dans le monde arabe.
Accorder aux femmes des moyens et une dignité
Les enfants ne sont pas l’unique cible de la Reine : elle dédie une grande partie de son temps à améliorer la condition des femmes dans son pays et dans toute la région. A l’origine d’un projet de micro finance rappelant les stratégies de Jacques Attali pour endiguer la misère dans le monde, la Fondation s’est attaquée à la pauvreté en Jordanie « non en accordant des poissons, mais en apprenant à pêcher », selon la métaphore, qui en est à peine une, employée par la Reine Rania : « Je voulais que la JRF aide ceux qui font leur possible pour créer une petite affaire mais qui n’ont pas la somme de départ nécessaire ou la moindre notion de comptabilité… ces mères qui savent faire de choses et souhaitent travaillent, mais qui veulent aussi rester chez elles pour élever leurs enfants… »
Cette initiative donne un nouvel élan à des traditions culturelles jordaniennes telles que le tissage de tapis ou la confection de paniers (…) » Avec une aide à l’acquisition du matériel de base, de nombreuses femmes ont réussi à se faire un petit revenu, vendant des tapis originaux (très prisés par les touristes) et montant parfois de petites entreprises où d’autres femmes sont employées.
« Le principe de base de la JRF est de créer des emplois par des projets générateurs de revenus. »
Les initiatives sociales de la JRF sont devenues un modèle dans tout le monde arabe, affirme la Reine Rania. Une conséquence inattendue, mais bienvenue des ces projets constructifs est, selon elle, « le changement des mentalités » qu’ils auraient suscité. Les individus auraient pris conscience que le développement n’est pas l’apanage du gouvernement, dont les moyens sont limités, mais relève également de la responsabilité des individus, « qui peuvent créer des coopératives et des emplois par eux-mêmes ».
Selon la Reine Rania, la situation des femmes dans le monde arabe évolue, les régimes comprenant que les femmes représentent 50% de la population et sont un potentiel économique qui, s’il était exploité, permettrait de faire un bond en avant. « Selon la Banque mondiale, le monde arabe fait partie des pays les plus dépensiers en matière d’éducation. Or dans les pays du Moyen-Orient, la majorité des étudiants à l’université sont des femmes. »
La Reine Rania sur Youtube : combattre les préjugés des Occidentaux sur les Arabes et les musulmans
Mais la Reine Rania entend aussi éduquer l’Occidental en modifiant l’image négative que celui-ci pourrait avoir des Orientaux. Elle voudrait « (…) accroître la compréhension entre les peuples de toutes les cultures, religions et milieux sociaux… montrer que nous avons tellement de choses en commun… Au-delà des considérations de race, de religion, de couleur ou de confession, les gens partagent les mêmes préoccupations et les mêmes valeurs ». Elle va jusqu’à comparer le danger de la violence déclarée à celui de « la méfiance qui éloigne les gens les uns des autres ».
Prenant une fois encore les choses en main, la reine Rania se crée un compte sur Youtube « parce que c’est un excellent lieu de dialogue et d’échanges ». Elle convie les internautes sur cette tribune virtuelle à lui faire part de leurs préjugés sur les Arabes et les musulmans. Plusieurs vidéos de la reine répondant aux préjugés et aux questions des internautes occidentaux sont ainsi mis en ligne. Ces réponses frappent par leur honnêteté et leur volonté de mettre l’accent sur l’aspect positif des pays du Moyen-Orient. La première vidéo de la reine Rania a été vue 1.4 millions de fois en quelques semaines, suscitant 83 réactions vidéo et 6000 commentaires écrits. « Il y a plus d’incompréhension que je ne le pensais, plus de colère et de parti pris, mais aussi plus d’intérêt, de soutien et d’engagement », dira-t-elle.
Nathalie Szerman
Interview de Serge Moati
Sur le plateau de Ripostes, interview vérité de Serge Moati : Israël, la Tunisie, la paix, ses projets artistiques, il se livre sans fard.
"C'est tout de suite, c'est sur Ripostes", promet en direct Serge Moati qui vient de présenter aux téléspectateurs le débat qui va s'ouvrir dans quelques minutes sur TV 5 France : en ce dimanche 10 mai, c'est Henri Guaino, conseiller de Nicolas Sarkozy, qui va passer sur le gril. Mais si nous nous trouvons en ce jour sur le plateau de Moati, c'est plus pour Serge que pour Henri : voilà 10 ans que l'émission Ripostes fait parler d'elle, et l'animateur n'y est pas pour rien : impact des invités certes (Villepin, Finkelkraut, Tariq Ramadan, Marine Le Pen …), mais aussi style très personnel d'un homme de télé qui jongle entre journalisme, réalisation et production, sans oublier de faire l'acteur de temps en temps.
Petites lunettes rondes, gestuelle théâtrale, culture, humour et sentiments : une nature méridionale conjuguée au travail sur l’allure d’un homme de communication conscient de son image. Après l'émission et le cocktail consécutif, Serge Moati, vanné mais encore vif et alerte, tombe le masque pour Israël Magazine.
- Vous considérez-vous avant tout comme un réalisateur, un acteur, un producteur, un journaliste, un écrivain, un homme politique ? La liste est longue...
- Tout cela à la fois et rien de tout cela. Tout ça à la fois parce qu'effectivement, c'est ce que je fais. Je suis un homme de télévision, de communication. Quel est mon métier ? Je ne sais pas... La curiosité, le goût de l'autre sont le point commun entre toutes ces activités. Ce que j'aime, c'est l'alternance. Là, la saison de Ripostes va s'achever et j'avais très besoin de faire un documentaire. J'ai eu la chance d'aller en Israël faire une journée pour ARTE. J'ai besoin de respiration.
"Il y a contradiction entre spiritualité et pratique orthodoxe de la religion"
- Comment vivez-vous votre judaïsme ?
- Je suis laïque, mais spirituel. Je pense qu'il y a une contradiction entre spiritualité et pratique orthodoxe du judaïsme. J'ai un rapport très singulier à Dieu. Ca paraît prétentieux, mais c’est ainsi. Je pense me trouver dans la droite lignée de la tradition juive, comme Moïse qui a vu Dieu face à face. Je n'aime pas le côté conformisme collectif et ne pratique donc pas. Mes parents sont morts quand j'avais onze ans. Je n'ai pas du tout connu la tradition juive. Je n'ai pas le souvenir de fêtes. C'est donc tout seul que je m'y suis mis, et je défie quiconque de dire qu'il est plus juif que moi.
- Vous êtes connu pour vos bons rapports avec le monde musulman. Un réalisateur tunisien a adapté votre livre Villa Jasmin pour un téléfilm. Je ne connais pas d'autre exemple de réalisateur musulman ayant adapté l'oeuvre d'un Juif. Comment cela est-il arrivé ?
- C'est arrivé par fraternité. On est nés tous les deux sous le même ciel. Son père était journaliste, le mien aussi. Il existait une fraternité des couches sociales en Tunisie : les pauvres Juifs étaient fraternels avec les pauvres Arabes. Les journalistes juifs - des bourgeois intellectuels dans l'ensemble - étaient copains avec les bourgeois intellectuels arabes. C'était une société de castes et de classes. Il y a certes eu des moments, liés à l'histoire d'Israël, qui ont été des moments de cassure. Mais la plupart du temps, sur la durée, les rapports étaient bons entre Juifs et Arabes. Il existait bien un anti-judaïsme ancestral qui par moments faisait des flambées. On brûlait tous les magasins juifs. Mais ça s'arrêtait dès le lendemain. La Shoah n'est pas une invention arabe. Il y avait des signes distinctifs : les Juifs étaient habillés d'une certaines façon ; ils n'avaient pas le droit de faire certains métiers. Mais cela n'a jamais atteint les proportions atteintes par l'anti-judaïsme dans l'Occident chrétien.
- Cherchez-vous à faire entendre certaines voix arabes ou musulmanes modérées ?
- Tous ceux qui peuvent contribuer au dialogue, Meddeb, Chebel, Tahar Ben Jelloul [prix Goncourt ndlr], je tente de les mettre en avant.
"Si Ilan Halimi a été assassiné, c'est par antisémitisme social"
- Comment réagissez-vous face à l'antisémitisme d'une grande partie de la population arabe ou musulmane ?
- Si Ilan Halimi a été assassiné, c'est par antisémitisme social. C'est... les "Juifs sont riches". Cela n'excuse rien ; l'acte est ignoble. Mais il ne s'agit pas d'un antisémitisme structurel, réfléchi. Je ne veux pas que la moindre de mes paroles contribue à alimenter cette polémique. J'ai trop de copains musulmans et juifs. C'est ensemble, et fraternellement, intelligemment, que nous devons aller les uns vers les autres. J'ai été fier de présenter la soirée de l’UNESCO sur le projet Aladdin [visant à apporter une information sur la Shoah, les relations judéo-arabes et la culture juive en arabe, farsi et turc ndlr] car elle va dans le sens du rapprochement. Il y avait quand même 250 intellectuels musulmans présents pour rejeter le négationnisme. On peut toujours jeter de l'huile sur le feu, mais cela ne m'intéresse pas. Je n'ai pas envie d'exciter, ni de pousser qui que ce soit à la guerre.
"La pire des attitudes, c'est la diabolisation"; "Le Pen a répété devant ma caméra, à cinquante centimètres de moi, que la Shoah est un point de détail de l'histoire."
- Vous auriez qualifié Le Pen de "marrant, sympa et cultivé". Son amitié pour Dieudonné est-elle aussi "marrante" ?
- Non. Mais je ne retire pas ce que j'ai dit. La pire des attitudes, c'est la diabolisation. Nous, Juifs, avons connu cela. Nous avons connu les stigmates et devons faire très attention à ne pas diaboliser qui que ce soit. Je ne vais pas, moi, fils de déporté, m'amuser à reproduire cela, avec Le Pen, sa fille, ou qui que ce soit d’autre. Quand un type pèse 18% des voix en France, il n'y a aucune raison de ne pas le recevoir. Ou alors on interdit le Front national ! Si on n'écoute pas, on ne comprend rien à la vie, à ce qui fait qu'un homme est un homme. Si vous le traitez de diable, vous lui retirez l'humanité, donc vous l'excusez. Et vous figez la réalité. C'est trop facile, le diable. Au moment où tous les journalistes refusaient de recevoir Le Pen, moi je l'ai reçu, et il savait parfaitement qui j'étais. Il a répété devant ma caméra, à cinquante centimètres de moi, que la Shoah est un point de détail de l'histoire.
Si j'avais pu interviewer Goebbels, je l'aurais fait. J'ai dit à Marine Le Pen, la dernière fois où je l'ai interviewée, que j'étais moi-même l'enfant d'un détail, et je crois que nos rapports se sont terminés là.
- Qu'est-ce qui justifie la grande admiration que vous semblez avoir porté pour François Mitterrand ? C'est grâce à vous qu'il est entré vivant au Panthéon...
- J'ai connu Mitterrand à l'âge de 21 ans. C'est un homme qui m'a beaucoup apporté, enrichi. Je le trouvais très gentil. Je n'oublierai jamais les grandes réformes sociales de Mitterrand, je n'oublierai jamais l'abolition de la peine de mort, je n'oublierai jamais l'Europe. C'était un grand ami d'Israël. Il est vrai qu'il a invité Arafat, mais après avoir prévenu la Knesset qu'il y aurait un jour un Etat palestinien.
- Parmi les personnalités que vous avez interviewées se trouvent Lang, Royal, Bayrou, Villepin. Avez-vous gardé un souvenir marquant de l'une d'entre elles ?
- J'ai eu de grands moments, comme le débat entre Finkelkraut et Tariq Ramadan, parce que cela a représenté un moment extraordinaire de dialogue.
"Je préfèrerais un Israël plus méditerranéen. Le pays a tellement changé..."
- Dans un récent entretien, vous vous êtes déclaré agacé par l’américanisation à outrance d’Israël. Quel rapport entretenez-vous avec Israël ?
- Ce n'est pas ce que j'ai dit. Il est vrai toutefois que je préfèrerais un Israël plus méditerranéen. J'ai connu Israël en 58. J'y allais souvent. Le pays a tellement changé... Quand je vois la culture américaine envahir Israël, cela m'ennuie un peu. J'aurais préféré plus d'authenticité. J'ai beaucoup aimé la période des kibboutzim de ma jeunesse, la période des travaillistes. Israël inventait un modèle social démocrate tout à fait original et très fraternel. Israël fait ce qu'il veut et je ne suis pas Israélien. Mais le modèle fast food, business, "matter of fact" adopté par Israël ces dernières années ne me plaît pas spécialement.
- Comment s'est passée la coopération avec Amos Gitaï sur le film Plus tard tu comprendras ?
- Amos est un grand créateur. Il est entier. Contrairement à moi, il se donne entièrement à sa tâche du moment. Moi je fais 36 choses à la fois. Il a réalisé un beau film, fort. On est très dissemblables, mais on s'est bien entendus. Ma maison de production a produit le film. Je connaissais Amos, parce que dans l'Arche, où j'étais autrefois critique cinématographique, j'avais encensé son premier film, un documentaire.
"Je ne sais pas si la paix est possible, mais elle est nécessaire" ; "Je voudrais bien, avant de mourir, pouvoir y assister."
- Pensez-vous que la paix soit possible entre Israël et les pays de la région ?
- Je ne sais pas si elle est possible ; là n'est pas la question. Elle est nécessaire ; elle doit avoir lieu, si on ne souhaite pas la mort de nos enfants ou des enfants palestiniens. Et je voudrais bien, avant de mourir, voir la paix. Je suis passionnément attaché à Israël et je ne supporte pas que l'on puisse, avec légèreté, parler du destin d'Israël et ne pas favoriser tout ce qui peut contribuer à la paix. Surtout en se trouvant ici, le derrière bien à l'aise, en faisant la guerre par procuration ; c'est trop facile.
- Partagez-vous l'enthousiasme généralisé pour Obama ?
- Oui, je suis très content. On va voir. Il faut s'appuyer sur les forces modérées, et c'est ce qu'il fait, visiblement. Il est très important de s'appuyer sur des gens avec qui l'on peut parler. Mon maître Shimon Peres disait que l'on fait la paix avec ses ennemis, pas avec ses amis.
- Vous préparez un film sur le Général de Gaulles. Quel message voulez-vous faire passer ?
- "Je vous ai compris" a dit De Gaulle aux Pieds noirs sur le forum d'Alger, leur faisant croire que la France était là pour l'éternité, et quatre ans plus tard… J’essaie de comprendre comment cela a pu arriver. On en est au casting. On cherche les acteurs.
- Vous préparez en outre une pièce de théâtre …
- C’est une pièce sur l'Ecclésiaste d’une durée de 45 minutes. Je vais la jouer avec mon fils. Je serai le vieux roi d'Israël et lui le jeune roi [rires]. C'est un texte qu'il faut donner à entendre. Nous avons choisi la très belle traduction d’Ernest Renan. Je conjugue plusieurs projets car je m'ennuie très vite. J'ai besoin de faire. C'est pour moi un bonheur, pas du tout comme si je travaillais. C'est quand je ne travaille pas que je travaille… vous voyez ce que je veux dire ? [sourire]
Propos recueillis par Nathalie Szerman
Sur le plateau de Ripostes, interview vérité de Serge Moati : Israël, la Tunisie, la paix, ses projets artistiques, il se livre sans fard.
"C'est tout de suite, c'est sur Ripostes", promet en direct Serge Moati qui vient de présenter aux téléspectateurs le débat qui va s'ouvrir dans quelques minutes sur TV 5 France : en ce dimanche 10 mai, c'est Henri Guaino, conseiller de Nicolas Sarkozy, qui va passer sur le gril. Mais si nous nous trouvons en ce jour sur le plateau de Moati, c'est plus pour Serge que pour Henri : voilà 10 ans que l'émission Ripostes fait parler d'elle, et l'animateur n'y est pas pour rien : impact des invités certes (Villepin, Finkelkraut, Tariq Ramadan, Marine Le Pen …), mais aussi style très personnel d'un homme de télé qui jongle entre journalisme, réalisation et production, sans oublier de faire l'acteur de temps en temps.
Petites lunettes rondes, gestuelle théâtrale, culture, humour et sentiments : une nature méridionale conjuguée au travail sur l’allure d’un homme de communication conscient de son image. Après l'émission et le cocktail consécutif, Serge Moati, vanné mais encore vif et alerte, tombe le masque pour Israël Magazine.
- Vous considérez-vous avant tout comme un réalisateur, un acteur, un producteur, un journaliste, un écrivain, un homme politique ? La liste est longue...
- Tout cela à la fois et rien de tout cela. Tout ça à la fois parce qu'effectivement, c'est ce que je fais. Je suis un homme de télévision, de communication. Quel est mon métier ? Je ne sais pas... La curiosité, le goût de l'autre sont le point commun entre toutes ces activités. Ce que j'aime, c'est l'alternance. Là, la saison de Ripostes va s'achever et j'avais très besoin de faire un documentaire. J'ai eu la chance d'aller en Israël faire une journée pour ARTE. J'ai besoin de respiration.
"Il y a contradiction entre spiritualité et pratique orthodoxe de la religion"
- Comment vivez-vous votre judaïsme ?
- Je suis laïque, mais spirituel. Je pense qu'il y a une contradiction entre spiritualité et pratique orthodoxe du judaïsme. J'ai un rapport très singulier à Dieu. Ca paraît prétentieux, mais c’est ainsi. Je pense me trouver dans la droite lignée de la tradition juive, comme Moïse qui a vu Dieu face à face. Je n'aime pas le côté conformisme collectif et ne pratique donc pas. Mes parents sont morts quand j'avais onze ans. Je n'ai pas du tout connu la tradition juive. Je n'ai pas le souvenir de fêtes. C'est donc tout seul que je m'y suis mis, et je défie quiconque de dire qu'il est plus juif que moi.
- Vous êtes connu pour vos bons rapports avec le monde musulman. Un réalisateur tunisien a adapté votre livre Villa Jasmin pour un téléfilm. Je ne connais pas d'autre exemple de réalisateur musulman ayant adapté l'oeuvre d'un Juif. Comment cela est-il arrivé ?
- C'est arrivé par fraternité. On est nés tous les deux sous le même ciel. Son père était journaliste, le mien aussi. Il existait une fraternité des couches sociales en Tunisie : les pauvres Juifs étaient fraternels avec les pauvres Arabes. Les journalistes juifs - des bourgeois intellectuels dans l'ensemble - étaient copains avec les bourgeois intellectuels arabes. C'était une société de castes et de classes. Il y a certes eu des moments, liés à l'histoire d'Israël, qui ont été des moments de cassure. Mais la plupart du temps, sur la durée, les rapports étaient bons entre Juifs et Arabes. Il existait bien un anti-judaïsme ancestral qui par moments faisait des flambées. On brûlait tous les magasins juifs. Mais ça s'arrêtait dès le lendemain. La Shoah n'est pas une invention arabe. Il y avait des signes distinctifs : les Juifs étaient habillés d'une certaines façon ; ils n'avaient pas le droit de faire certains métiers. Mais cela n'a jamais atteint les proportions atteintes par l'anti-judaïsme dans l'Occident chrétien.
- Cherchez-vous à faire entendre certaines voix arabes ou musulmanes modérées ?
- Tous ceux qui peuvent contribuer au dialogue, Meddeb, Chebel, Tahar Ben Jelloul [prix Goncourt ndlr], je tente de les mettre en avant.
"Si Ilan Halimi a été assassiné, c'est par antisémitisme social"
- Comment réagissez-vous face à l'antisémitisme d'une grande partie de la population arabe ou musulmane ?
- Si Ilan Halimi a été assassiné, c'est par antisémitisme social. C'est... les "Juifs sont riches". Cela n'excuse rien ; l'acte est ignoble. Mais il ne s'agit pas d'un antisémitisme structurel, réfléchi. Je ne veux pas que la moindre de mes paroles contribue à alimenter cette polémique. J'ai trop de copains musulmans et juifs. C'est ensemble, et fraternellement, intelligemment, que nous devons aller les uns vers les autres. J'ai été fier de présenter la soirée de l’UNESCO sur le projet Aladdin [visant à apporter une information sur la Shoah, les relations judéo-arabes et la culture juive en arabe, farsi et turc ndlr] car elle va dans le sens du rapprochement. Il y avait quand même 250 intellectuels musulmans présents pour rejeter le négationnisme. On peut toujours jeter de l'huile sur le feu, mais cela ne m'intéresse pas. Je n'ai pas envie d'exciter, ni de pousser qui que ce soit à la guerre.
"La pire des attitudes, c'est la diabolisation"; "Le Pen a répété devant ma caméra, à cinquante centimètres de moi, que la Shoah est un point de détail de l'histoire."
- Vous auriez qualifié Le Pen de "marrant, sympa et cultivé". Son amitié pour Dieudonné est-elle aussi "marrante" ?
- Non. Mais je ne retire pas ce que j'ai dit. La pire des attitudes, c'est la diabolisation. Nous, Juifs, avons connu cela. Nous avons connu les stigmates et devons faire très attention à ne pas diaboliser qui que ce soit. Je ne vais pas, moi, fils de déporté, m'amuser à reproduire cela, avec Le Pen, sa fille, ou qui que ce soit d’autre. Quand un type pèse 18% des voix en France, il n'y a aucune raison de ne pas le recevoir. Ou alors on interdit le Front national ! Si on n'écoute pas, on ne comprend rien à la vie, à ce qui fait qu'un homme est un homme. Si vous le traitez de diable, vous lui retirez l'humanité, donc vous l'excusez. Et vous figez la réalité. C'est trop facile, le diable. Au moment où tous les journalistes refusaient de recevoir Le Pen, moi je l'ai reçu, et il savait parfaitement qui j'étais. Il a répété devant ma caméra, à cinquante centimètres de moi, que la Shoah est un point de détail de l'histoire.
Si j'avais pu interviewer Goebbels, je l'aurais fait. J'ai dit à Marine Le Pen, la dernière fois où je l'ai interviewée, que j'étais moi-même l'enfant d'un détail, et je crois que nos rapports se sont terminés là.
- Qu'est-ce qui justifie la grande admiration que vous semblez avoir porté pour François Mitterrand ? C'est grâce à vous qu'il est entré vivant au Panthéon...
- J'ai connu Mitterrand à l'âge de 21 ans. C'est un homme qui m'a beaucoup apporté, enrichi. Je le trouvais très gentil. Je n'oublierai jamais les grandes réformes sociales de Mitterrand, je n'oublierai jamais l'abolition de la peine de mort, je n'oublierai jamais l'Europe. C'était un grand ami d'Israël. Il est vrai qu'il a invité Arafat, mais après avoir prévenu la Knesset qu'il y aurait un jour un Etat palestinien.
- Parmi les personnalités que vous avez interviewées se trouvent Lang, Royal, Bayrou, Villepin. Avez-vous gardé un souvenir marquant de l'une d'entre elles ?
- J'ai eu de grands moments, comme le débat entre Finkelkraut et Tariq Ramadan, parce que cela a représenté un moment extraordinaire de dialogue.
"Je préfèrerais un Israël plus méditerranéen. Le pays a tellement changé..."
- Dans un récent entretien, vous vous êtes déclaré agacé par l’américanisation à outrance d’Israël. Quel rapport entretenez-vous avec Israël ?
- Ce n'est pas ce que j'ai dit. Il est vrai toutefois que je préfèrerais un Israël plus méditerranéen. J'ai connu Israël en 58. J'y allais souvent. Le pays a tellement changé... Quand je vois la culture américaine envahir Israël, cela m'ennuie un peu. J'aurais préféré plus d'authenticité. J'ai beaucoup aimé la période des kibboutzim de ma jeunesse, la période des travaillistes. Israël inventait un modèle social démocrate tout à fait original et très fraternel. Israël fait ce qu'il veut et je ne suis pas Israélien. Mais le modèle fast food, business, "matter of fact" adopté par Israël ces dernières années ne me plaît pas spécialement.
- Comment s'est passée la coopération avec Amos Gitaï sur le film Plus tard tu comprendras ?
- Amos est un grand créateur. Il est entier. Contrairement à moi, il se donne entièrement à sa tâche du moment. Moi je fais 36 choses à la fois. Il a réalisé un beau film, fort. On est très dissemblables, mais on s'est bien entendus. Ma maison de production a produit le film. Je connaissais Amos, parce que dans l'Arche, où j'étais autrefois critique cinématographique, j'avais encensé son premier film, un documentaire.
"Je ne sais pas si la paix est possible, mais elle est nécessaire" ; "Je voudrais bien, avant de mourir, pouvoir y assister."
- Pensez-vous que la paix soit possible entre Israël et les pays de la région ?
- Je ne sais pas si elle est possible ; là n'est pas la question. Elle est nécessaire ; elle doit avoir lieu, si on ne souhaite pas la mort de nos enfants ou des enfants palestiniens. Et je voudrais bien, avant de mourir, voir la paix. Je suis passionnément attaché à Israël et je ne supporte pas que l'on puisse, avec légèreté, parler du destin d'Israël et ne pas favoriser tout ce qui peut contribuer à la paix. Surtout en se trouvant ici, le derrière bien à l'aise, en faisant la guerre par procuration ; c'est trop facile.
- Partagez-vous l'enthousiasme généralisé pour Obama ?
- Oui, je suis très content. On va voir. Il faut s'appuyer sur les forces modérées, et c'est ce qu'il fait, visiblement. Il est très important de s'appuyer sur des gens avec qui l'on peut parler. Mon maître Shimon Peres disait que l'on fait la paix avec ses ennemis, pas avec ses amis.
- Vous préparez un film sur le Général de Gaulles. Quel message voulez-vous faire passer ?
- "Je vous ai compris" a dit De Gaulle aux Pieds noirs sur le forum d'Alger, leur faisant croire que la France était là pour l'éternité, et quatre ans plus tard… J’essaie de comprendre comment cela a pu arriver. On en est au casting. On cherche les acteurs.
- Vous préparez en outre une pièce de théâtre …
- C’est une pièce sur l'Ecclésiaste d’une durée de 45 minutes. Je vais la jouer avec mon fils. Je serai le vieux roi d'Israël et lui le jeune roi [rires]. C'est un texte qu'il faut donner à entendre. Nous avons choisi la très belle traduction d’Ernest Renan. Je conjugue plusieurs projets car je m'ennuie très vite. J'ai besoin de faire. C'est pour moi un bonheur, pas du tout comme si je travaillais. C'est quand je ne travaille pas que je travaille… vous voyez ce que je veux dire ? [sourire]
Propos recueillis par Nathalie Szerman
Entretien avec Bernard-Henry Lévy
Menace nucléaire iranienne, perspectives de révolution anti-islamique en Iran, guerre froide au Moyen-Orient, et bien sûr Israël : son avenir, son identité… Bernard-Henri Lévy a pris le temps d’évoquer pour Israël Magazine ces sujets qui préoccupent aujourd’hui tous les esprits et où les façonneurs d’opinion sont le plus attendus.
Philosophe acteur de son temps, BHL l’est aussi sur la Toile : faisant partie de ces intellectuels qui ont compris que le web est le lieu des plus improbables rencontres, il est présent sur Facebook (http://www.facebook.com/pages/Bernard-Henri-Levy/91342363268?ref=ts), Twitter, et également sur un site que lui a consacré l’écrivain Liliane Lazar (http://www.bernard-henri-levy.com/qui-est-liliane-lazar). Par Facebook, BHL s’est adressé à la jeunesse iranienne en pleine période d’émeutes post-électorales pour lui montrer que, malgré la non-ingérence verbale des puissances occidentales, cette jeunesse n’est pas seule.
NS : Il existe aujourd'hui des raisons d'être optimiste ET pessimiste au sujet du Moyen-Orient. Quel avenir se dessine dans la région à votre avis ?
BHL : Je suis, paradoxalement, plus optimiste qu’il y a quatre ans. La défaite du Hezbollah au Liban. L’affaiblissement du Hamas. La révolte populaire en Iran. Tout cela va dans le bon sens. C'est-à-dire dans le sens de l’affaiblissement des forces de guerre et de haine.
"Le régime tenait sur l’illusion de la neutralité de Khamenei ... Eh bien fini, l’illusion."
NS : Le président Obama s'est dernièrement déclaré "consterné et outragé" face à la répression des manifestants iraniens. Il a toutefois fait savoir qu'il souhaitait ne pas s'ingérer dans les affaires iraniennes intérieures, car le soutien de l'Amérique pourrait « causer du tort » aux manifestants. Ne faut-il pas au contraire que les pays occidentaux manifestent haut et fort leur soutien aux manifestants au nom de la défense de la démocratie et des droits de l'homme ?
BHL : Oui, bien sûr, c’est ce que je pense. Et c’est ce que je n’ai, personnellement, cessé de dire. Y compris dans cette « Adresse à la jeunesse d’Iran » que j’ai enregistrée, sur webcam, dès les premières manifestations et que Liliane Lazar a diffusée sur la page Facebook qu’elle me dédie. Je sais que cette vidéo a été vue en Iran. Beaucoup. Et que c’est le genre de témoignage qui, même modeste, même infime, a au moins ce mérite : montrer aux gens qu’ils ne sont pas si seuls qu’ils le croient.
NS : Pour la première fois, ce n'est plus seulement Ahmadinejad mais Ali Khamenei qui a été attaqué. Pour la première fois également, le Gardiens de la Révolutions sont intervenus pour menacer les manifestants. Le régime iranien est-il, pour la première fois, en danger ?
BHL : Absolument, oui. Et, si j’ose dire, mécaniquement. Car c’est le pilier, là, qui est atteint. Le régime tenait sur l’illusion de la neutralité de Khamenei. On disait : « il y a les factions ; peut-être même se déchirent-elles ; mais heureusement il y a le Guide qui tient l’équilibre entre les factions ». Eh bien fini, l’illusion. Il est tombé, le masque de la neutralité. Khamenei, en prenant parti pour Ahmadinejad, en participant si éhontément au vol du résultat des élections, a achevé de perdre le crédit qui lui restait et a sapé l’une des bases essentielles du régime.
Au sujet de Moussavi : C'est le destin de toutes les révolutions de créer des leaders révolutionnaires
NS : Moussavi n'est pas un adversaire du régime islamique, comme l'a rappelé Khamenei lui-même. Or c'est ce même Moussavi qui s’est retrouvé, un peu malgré lui, l'effigie de la rébellion. Peut-il y avoir une Révolution anti-islamique sans leaders dignes de ce nom ?
BHL : Je dirai les choses autrement. C’est le destin de toutes les révolutions, avant de dévorer leurs enfants, de commencer par les produire et les engendrer. Elles font ça avec le tout venant. Avec les hommes du régime ancien. Elles font ça avec des hommes venus du vieux monde, parfois minuscules, médiocres, voire minables, mais qu’elles haussent au dessus d’eux-mêmes et auxquels elles confèrent, certains pour quelques jours, certains pour l’éternité, un destin d’exception. C’est ce qui est arrivé à Moussavi. Peu importe son passé. Peu importe qu’il ait été, comme vous dites, un homme de l’ancien régime. L’essentiel c’est qu’il s’est trouvé là, à ce point de l’histoire iranienne, hissé au-dessus de lui-même, soudain plus grand que soi, peut-être pour pas très longtemps, mais ça n’a aucune espèce d’importance.
NS : Nicolas Sarkozy a averti l'Iran à plusieurs reprises qu'il risquait une attaque israélienne. Netanyahu est arrivé en Europe pour, semble-t-il, s'assurer le soutien des Européens sur le dossier iranien et peut-être en cas d'offensive contre l'Iran. Estimez-vous normal qu'Israël puisse envisager d'attaquer l'Iran ?
"Il faut tout faire - tout - pour empêcher des fanatiques d'avoir accès à l'arme atomique"
BHL : J’estime, non seulement normal, mais essentiel que l’on tente tout, je dis bien tout, pour empêcher des fanatiques d’avoir accès à l’arme atomique. Alors, bien sûr, la diplomatie. Alors, bien sûr, le dialogue. Alors, bien sûr, l’arme des sanctions dont on est loin, très loin, d’avoir épuisé les effets. Mais imaginons que rien de tout cela ne marche. Supposons que les dingues qui règnent à Téhéran fassent eux-mêmes le choix du viva la muerte. C’est vrai que ce jour-là, la communauté internationale n’aura plus tellement le choix…
NS : Pensez-vous qu'il soit possible aujourd'hui, par voie diplomatique ou même militaire, d'empêcher l'Iran d'accéder à la bombe ?
BHL : Je n’en sais rien. Je ne suis pas un expert de ces choses. Mais mon dieu oui, j’espère de toute mon âme qu’il existe encore des moyens d’empêcher cette catastrophe…
NS : Le président français a d'abord tenté d'isoler l'Iran en "sortant la Syrie de son isolement" (on peut toutefois se demander s'il n'a pas par ce biais renforcé le camp iranien, bien malgré lui). La France a ensuite inauguré sa base militaire à Abu Dhabi. Quel rôle la France peut-elle jouer dans le conflit au Moyen-Orient ?
BHL : Un rôle clef. Le Président Sarkozy est un incontestable ami d’Israël. Et il a montré, en même temps, qu’il pouvait avoir, sur les dossiers du Proche-Orient, des positons équilibrées. Cela est précieux. Cela sera, à mesure que le temps passera, de plus en plus précieux.
NS : Etes-vous satisfait de la nouvelle approche américaine des problèmes du Moyen-Orient ? Moins d'ingérence, une reconnaissance publique de la grandeur de l'islam, l'envoi d'un ambassadeur à Damas. Par sa volonté d'éviter les heurts et de promouvoir des liens d'amitié avec tous, ne risque-t-on pas de laisser le champ libre aux extrémistes et d'affaiblir les voix modérées ?
BHL : Je ne sais pas. On verra. Je pense qu’il faut, sur ces dossiers, laisser sa chance à l’administration Obama. Rien, dans le « track record » du Président, ne me semble de nature à nourrir la suspicion. Et qu’on reconnaisse la grandeur de l’Islam dans le moment même où on exhorte le monde arabo-musulman a) à renoncer au terrorisme, b) à s’ouvrir à la démocratie, c) à reconnaître la légitimité d’Israël, cela n’a rien pour me choquer.
NS : Le MEMRI a été le premier à évoquer une guerre froide au Moyen-Orient entre le camp iranien et la majorité des pays arabes sunnites modérés. Cet antagonisme est-il dangereux pour la paix ou permet-il au contraire d'unir les forces modérées face à la menace terroriste ?
BHL : L’Iran est un danger pour la paix. Mais que les pays sunnites modérés s’allient aux démocraties pour prendre conscience du danger et tenter de le contrecarrer me semble en revanche une bonne chose. La politique c’est l’art du moindre mal. C'est-à-dire de la hiérarchie des dangers et, donc, des urgences. Il y a une urgence, aujourd'hui : aider le peuple iranien à se débarrasser d’un tyran qui est, aussi, une menace pour le monde.
AD : Vous nous disiez il y a quatre ans que l'on ne jouait pas aux dés le destin d'Israël. Qui tient selon vous le destin d'Israël entre ses mains, l'Amérique, l'Iran?
BHL : Pour le pire, l’Iran – car nous savons bien que sa première cible, en cas d’obtention de l’arme atomique, serait le fragile et solitaire Israël. Pour le meilleur, l’Amérique – dont l’alliance avec Israël me semble, je vous le répète, encore très solide. Cela dit, ne nous trompons pas : aucune alliance n’est éternelle et le meilleur ami d’Israël reste encore Israël lui-même – sa force militaire, sa suprématie stratégique mais, aussi, les valeurs morales qui sont au principe du sionisme et qui en font un Etat, quoi qu’on en dise, pas comme les autres.
Un Etat palestinien oui, mais démilitarisé et sans retour des réfugiés
AD : Voyez-vous une solution au conflit israélo-arabe qui tienne compte de la sécurité d'Israël, de son identité juive ?
BHL : Tout le monde la voit, la solution. Tout le monde, sur le fond, est à peu près d’accord. C’est la solution des deux Etats. Assortie de deux conditions : la démilitarisation de l’Etat palestinien et la fin de non recevoir à la demande du fameux « droit au retour » des Palestiniens.
AD : Certains évoquent une islamisation des sociétés occidentales, par la démographie, la culture, l'habillement. Que répondez-vous?
BHL : Que c’est absurde.
AD : On dit qu'il faut une diaspora éclatante pour prendre la défense efficace d'Israël. Une alyah éclatante pourrait-elle être utile à votre avis ?
BHL : Il faut les deux. Car le judaïsme c’est les deux. C’est la combinaison du sionisme et des valeurs de la diaspora. C’est l’esprit de Scholem et celui de Rosenzweig. Les deux.
Propos recueillis par Nathalie Szerman avec le concours d'André Darmon
Menace nucléaire iranienne, perspectives de révolution anti-islamique en Iran, guerre froide au Moyen-Orient, et bien sûr Israël : son avenir, son identité… Bernard-Henri Lévy a pris le temps d’évoquer pour Israël Magazine ces sujets qui préoccupent aujourd’hui tous les esprits et où les façonneurs d’opinion sont le plus attendus.
Philosophe acteur de son temps, BHL l’est aussi sur la Toile : faisant partie de ces intellectuels qui ont compris que le web est le lieu des plus improbables rencontres, il est présent sur Facebook (http://www.facebook.com/pages/Bernard-Henri-Levy/91342363268?ref=ts), Twitter, et également sur un site que lui a consacré l’écrivain Liliane Lazar (http://www.bernard-henri-levy.com/qui-est-liliane-lazar). Par Facebook, BHL s’est adressé à la jeunesse iranienne en pleine période d’émeutes post-électorales pour lui montrer que, malgré la non-ingérence verbale des puissances occidentales, cette jeunesse n’est pas seule.
NS : Il existe aujourd'hui des raisons d'être optimiste ET pessimiste au sujet du Moyen-Orient. Quel avenir se dessine dans la région à votre avis ?
BHL : Je suis, paradoxalement, plus optimiste qu’il y a quatre ans. La défaite du Hezbollah au Liban. L’affaiblissement du Hamas. La révolte populaire en Iran. Tout cela va dans le bon sens. C'est-à-dire dans le sens de l’affaiblissement des forces de guerre et de haine.
"Le régime tenait sur l’illusion de la neutralité de Khamenei ... Eh bien fini, l’illusion."
NS : Le président Obama s'est dernièrement déclaré "consterné et outragé" face à la répression des manifestants iraniens. Il a toutefois fait savoir qu'il souhaitait ne pas s'ingérer dans les affaires iraniennes intérieures, car le soutien de l'Amérique pourrait « causer du tort » aux manifestants. Ne faut-il pas au contraire que les pays occidentaux manifestent haut et fort leur soutien aux manifestants au nom de la défense de la démocratie et des droits de l'homme ?
BHL : Oui, bien sûr, c’est ce que je pense. Et c’est ce que je n’ai, personnellement, cessé de dire. Y compris dans cette « Adresse à la jeunesse d’Iran » que j’ai enregistrée, sur webcam, dès les premières manifestations et que Liliane Lazar a diffusée sur la page Facebook qu’elle me dédie. Je sais que cette vidéo a été vue en Iran. Beaucoup. Et que c’est le genre de témoignage qui, même modeste, même infime, a au moins ce mérite : montrer aux gens qu’ils ne sont pas si seuls qu’ils le croient.
NS : Pour la première fois, ce n'est plus seulement Ahmadinejad mais Ali Khamenei qui a été attaqué. Pour la première fois également, le Gardiens de la Révolutions sont intervenus pour menacer les manifestants. Le régime iranien est-il, pour la première fois, en danger ?
BHL : Absolument, oui. Et, si j’ose dire, mécaniquement. Car c’est le pilier, là, qui est atteint. Le régime tenait sur l’illusion de la neutralité de Khamenei. On disait : « il y a les factions ; peut-être même se déchirent-elles ; mais heureusement il y a le Guide qui tient l’équilibre entre les factions ». Eh bien fini, l’illusion. Il est tombé, le masque de la neutralité. Khamenei, en prenant parti pour Ahmadinejad, en participant si éhontément au vol du résultat des élections, a achevé de perdre le crédit qui lui restait et a sapé l’une des bases essentielles du régime.
Au sujet de Moussavi : C'est le destin de toutes les révolutions de créer des leaders révolutionnaires
NS : Moussavi n'est pas un adversaire du régime islamique, comme l'a rappelé Khamenei lui-même. Or c'est ce même Moussavi qui s’est retrouvé, un peu malgré lui, l'effigie de la rébellion. Peut-il y avoir une Révolution anti-islamique sans leaders dignes de ce nom ?
BHL : Je dirai les choses autrement. C’est le destin de toutes les révolutions, avant de dévorer leurs enfants, de commencer par les produire et les engendrer. Elles font ça avec le tout venant. Avec les hommes du régime ancien. Elles font ça avec des hommes venus du vieux monde, parfois minuscules, médiocres, voire minables, mais qu’elles haussent au dessus d’eux-mêmes et auxquels elles confèrent, certains pour quelques jours, certains pour l’éternité, un destin d’exception. C’est ce qui est arrivé à Moussavi. Peu importe son passé. Peu importe qu’il ait été, comme vous dites, un homme de l’ancien régime. L’essentiel c’est qu’il s’est trouvé là, à ce point de l’histoire iranienne, hissé au-dessus de lui-même, soudain plus grand que soi, peut-être pour pas très longtemps, mais ça n’a aucune espèce d’importance.
NS : Nicolas Sarkozy a averti l'Iran à plusieurs reprises qu'il risquait une attaque israélienne. Netanyahu est arrivé en Europe pour, semble-t-il, s'assurer le soutien des Européens sur le dossier iranien et peut-être en cas d'offensive contre l'Iran. Estimez-vous normal qu'Israël puisse envisager d'attaquer l'Iran ?
"Il faut tout faire - tout - pour empêcher des fanatiques d'avoir accès à l'arme atomique"
BHL : J’estime, non seulement normal, mais essentiel que l’on tente tout, je dis bien tout, pour empêcher des fanatiques d’avoir accès à l’arme atomique. Alors, bien sûr, la diplomatie. Alors, bien sûr, le dialogue. Alors, bien sûr, l’arme des sanctions dont on est loin, très loin, d’avoir épuisé les effets. Mais imaginons que rien de tout cela ne marche. Supposons que les dingues qui règnent à Téhéran fassent eux-mêmes le choix du viva la muerte. C’est vrai que ce jour-là, la communauté internationale n’aura plus tellement le choix…
NS : Pensez-vous qu'il soit possible aujourd'hui, par voie diplomatique ou même militaire, d'empêcher l'Iran d'accéder à la bombe ?
BHL : Je n’en sais rien. Je ne suis pas un expert de ces choses. Mais mon dieu oui, j’espère de toute mon âme qu’il existe encore des moyens d’empêcher cette catastrophe…
NS : Le président français a d'abord tenté d'isoler l'Iran en "sortant la Syrie de son isolement" (on peut toutefois se demander s'il n'a pas par ce biais renforcé le camp iranien, bien malgré lui). La France a ensuite inauguré sa base militaire à Abu Dhabi. Quel rôle la France peut-elle jouer dans le conflit au Moyen-Orient ?
BHL : Un rôle clef. Le Président Sarkozy est un incontestable ami d’Israël. Et il a montré, en même temps, qu’il pouvait avoir, sur les dossiers du Proche-Orient, des positons équilibrées. Cela est précieux. Cela sera, à mesure que le temps passera, de plus en plus précieux.
NS : Etes-vous satisfait de la nouvelle approche américaine des problèmes du Moyen-Orient ? Moins d'ingérence, une reconnaissance publique de la grandeur de l'islam, l'envoi d'un ambassadeur à Damas. Par sa volonté d'éviter les heurts et de promouvoir des liens d'amitié avec tous, ne risque-t-on pas de laisser le champ libre aux extrémistes et d'affaiblir les voix modérées ?
BHL : Je ne sais pas. On verra. Je pense qu’il faut, sur ces dossiers, laisser sa chance à l’administration Obama. Rien, dans le « track record » du Président, ne me semble de nature à nourrir la suspicion. Et qu’on reconnaisse la grandeur de l’Islam dans le moment même où on exhorte le monde arabo-musulman a) à renoncer au terrorisme, b) à s’ouvrir à la démocratie, c) à reconnaître la légitimité d’Israël, cela n’a rien pour me choquer.
NS : Le MEMRI a été le premier à évoquer une guerre froide au Moyen-Orient entre le camp iranien et la majorité des pays arabes sunnites modérés. Cet antagonisme est-il dangereux pour la paix ou permet-il au contraire d'unir les forces modérées face à la menace terroriste ?
BHL : L’Iran est un danger pour la paix. Mais que les pays sunnites modérés s’allient aux démocraties pour prendre conscience du danger et tenter de le contrecarrer me semble en revanche une bonne chose. La politique c’est l’art du moindre mal. C'est-à-dire de la hiérarchie des dangers et, donc, des urgences. Il y a une urgence, aujourd'hui : aider le peuple iranien à se débarrasser d’un tyran qui est, aussi, une menace pour le monde.
AD : Vous nous disiez il y a quatre ans que l'on ne jouait pas aux dés le destin d'Israël. Qui tient selon vous le destin d'Israël entre ses mains, l'Amérique, l'Iran?
BHL : Pour le pire, l’Iran – car nous savons bien que sa première cible, en cas d’obtention de l’arme atomique, serait le fragile et solitaire Israël. Pour le meilleur, l’Amérique – dont l’alliance avec Israël me semble, je vous le répète, encore très solide. Cela dit, ne nous trompons pas : aucune alliance n’est éternelle et le meilleur ami d’Israël reste encore Israël lui-même – sa force militaire, sa suprématie stratégique mais, aussi, les valeurs morales qui sont au principe du sionisme et qui en font un Etat, quoi qu’on en dise, pas comme les autres.
Un Etat palestinien oui, mais démilitarisé et sans retour des réfugiés
AD : Voyez-vous une solution au conflit israélo-arabe qui tienne compte de la sécurité d'Israël, de son identité juive ?
BHL : Tout le monde la voit, la solution. Tout le monde, sur le fond, est à peu près d’accord. C’est la solution des deux Etats. Assortie de deux conditions : la démilitarisation de l’Etat palestinien et la fin de non recevoir à la demande du fameux « droit au retour » des Palestiniens.
AD : Certains évoquent une islamisation des sociétés occidentales, par la démographie, la culture, l'habillement. Que répondez-vous?
BHL : Que c’est absurde.
AD : On dit qu'il faut une diaspora éclatante pour prendre la défense efficace d'Israël. Une alyah éclatante pourrait-elle être utile à votre avis ?
BHL : Il faut les deux. Car le judaïsme c’est les deux. C’est la combinaison du sionisme et des valeurs de la diaspora. C’est l’esprit de Scholem et celui de Rosenzweig. Les deux.
Propos recueillis par Nathalie Szerman avec le concours d'André Darmon
lundi 31 août 2009
Le Grand maître du Grand-Orient de France :
Les valeurs émancipatrices de la République
Alors qu’en France et en Europe, la polémique sur la burqa, le voile et la laïcité, que l’on croyait calmée, revient sur le devant la scène avec une acuité inédite, avec l’arrivée d'une élue voilée au parlement européen, sanctuaire de la démocratie, et l’éclosion de diverses pétitions contre la burqa sur le web, il nous a semblé utile de faire entendre la voix de l’un des défenseurs sereins des valeurs universelles de la République : le Grand Maître du Grand Orient de France : Pierre Lambicchi.
NS : Comment le Grand Orient se différencie-t-il des autres obédiences maçonniques ?
Pierre Lambicchi : Le Grand Orient de France est la puissance maçonnique la plus importante et la plus ancienne de France ; elle fait partie de la maçonnerie libérale adogmatique : contrairement aux autres obédiences maçonniques, il n’y a pas chez nous d’obligation de croire en Dieu, ni d’invocation à Dieu obligatoire dans nos loges. C’est certes une maçonnerie traditionnelle, avec ses rituels, mais son travail est toujours orienté vers la société. Ici, vous êtes dans le Temple de la République : liberté de pensée, de conscience, éducation.
NS : Quelles sont les origines de cette obédience ?
P.L. : Elle a été créée historiquement au XVIIIème siècle, par des personnes exerçant des professions libérales en Angleterre. Il n’y avait pas de sécurité sociale à l’époque et les accidents de travail étaient fréquents. Il s’agissait d’aider les femmes et les enfants des victimes. On se réunissait dans des tavernes. Des nobles se sont peu à peu joints à ces personnes pour les aider de leur expérience. Ils leur ont d’abord expliqué le système mutualiste. La maçonnerie des débuts était basée sur l’entraide : elle comprenait des coiffeurs, des maçons... Très vite, cette entraide s’est ouverte à la société dans son ensemble. Nous avons ensuite surfé sur l’élan de libération des esprits du XVIIIème siècle, qui nous a permis d’exploser.
NS : La Franc-maçonnerie s'est traditionnellement élevée contre toutes les formes d'obscurantisme et de fanatisme, représentées jadis par le catholicisme romain. Quelle est sa position actuelle face à l'intégrisme islamique ?
P.L. : Seule la maçonnerie du Grand Orient de France a combattu l’obscurantisme. La maçonnerie anglaise dite régulière a aidé les obscurantismes. Pinochet était un maçon de la grande loge du Chili, qui est une obédience régulière.
"Derrière la burqa, il y a des régulations incompatibles avec les droits de l’Homme."
Notre position est la même face à l’intégrisme islamique que face à tous les intégrismes. Nous sommes dans un pays laïque : toute forme de religion doit être confinée à la sphère privée. Dans les hôpitaux et les autres lieux publics, on doit se comporter de manière neutre afin de vivre ensemble en bonne intelligence. La République française n’est pas une juxtaposition de communautés mais une intégration de toutes nos différences pour en faire une positivité. Derrière la burqa, il y a des régulations qui sont inacceptables parce qu’elles constituent une atteinte aux droits de l’Homme.
Cela dit, dans toutes les religions, il existe une part de fanatisme et d’intégrisme. Ce qui me gêne dans l’intégrisme, c’est l’avilissement de l’être humain, cette portée politique qui considère que ce que je fais est bien, mais que ce que fait l’autre ne l’est pas.
"Tout le monde doit être placé au même niveau d’égalité."
Un diplomate de la commission onusienne est venu nous dire ici, en substance : 'Vous savez, l’universalité des droits de l’Homme est fonction des pays et des cultures et si la culture d’un pays, c’est de lapider la femme adultère, cette pratique fait partie des droits de l’Homme ; si vous ne l’acceptez pas, vous êtes raciste.' Je pose la question : qui de nous deux est le plus raciste ? Tout le monde doit être placé au même niveau d’égalité.
Je vis dans un quartier juif. Certains de mes collaborateurs juifs sont gênés par l’intégrisme d’une partie de la communauté juive. Leur message est : 'Je suis comme je suis : prenez-moi tel que je suis.' Or ce n’est pas là le but de la République française, une république d’intégration qui accueille tout le monde, pas assez sans doute, parce qu’elle les accueille sans les amener à la citoyenneté. Je connais des personnes qui sont arrivées en France il y a trente ans et qui ne parlent toujours pas le français, ne connaissent pas la loi française, ne s’habillent toujours pas comme des occidentales. C’est un échec. Ce n’est pas faire preuve de racisme que d’affirmer la nécessité de l’intégration. Les Anglais sont en train de revenir de leur modèle de juxtaposition, vous savez ! A force de ne pas regarder ce qui se fait dans les mosquées !
"Les lois anti-maçonniques ont été promulguées par Vichy pendant la guerre, avant les lois anti-juives. Nous sommes les premiers à avoir été persécutés : mes parents sont allés en camp…"
N.S : La Franc-maçonnerie et le judaïsme ont des objectifs différents et au fond divergents. Commet expliquez-vous alors le mythe du complot judéo-maçonnique ?
P.L. : Le grand maître adjoint pourrait mieux répondre que moi… Il se trouve qu’il y a beaucoup de Juifs en maçonnerie ! Le Grand Orient a été la première obédience à accepter les Juifs qui, à une époque, n’étaient pas admis. Il n’y a pas d’incompatibilité au Grand-Orient avec la pratique religieuse, du moment que l’on respecte l’autre : c’est une maison du respect de l’autre. Les lois anti-maçonniques ont été promulguées par Vichy pendant la guerre, avant les lois anti-juives. Nous sommes les premiers à avoir été persécutés : mes parents sont allés en camp…
Chaque fois qu’il existe un groupe dont on ne connaît pas trop les activités, il devient un bouc émissaire. Il faut quelqu’un qui stigmatise les malheurs dont on ne comprend pas l’origine. C’est difficile d’empêcher l’imaginaire collectif.
« Nous sommes très inquiets face aux débordements antisémites de l’ultra-gauche. »
N.S : La Franc-maçonnerie essaie-t-elle aujourd'hui de jouer un rôle dans le processus de paix au Moyen-Orient ?
P.L : Je me suis bien gardé de participer aux manifestations parisiennes sur la situation au Proche Orient : des manifestations pour la paix qui ont fini par brûler le drapeau d’Israël. Je me doutais bien que ça allait déborder. Nous sommes très inquiets face aux débordements antisémites de l’ultra-gauche. Cela dit, nous nous efforçons de ne pas prendre parti sur les questions politiques brûlantes de la région.
N.S. : Etes-vous en contact avec le Bnei-Brith ?
P.L : Ce qui m’embête, c’est qu’il n’y a que des Juifs au Bnei-Brith… Cela fait communautaire. Le Bnei-Brith a été créé par 9 maçons émigrés à New York car à l’époque, on n’initiait pas les Juifs. Aux Etats-Unis, il existe aussi des obédiences noires ! L’initiation des Juifs en France date de 1870.
Le langage néo-testamentaire de la maçonnerie, qui se base essentiellement sur l’Evangile selon Jean et se focalise non plus sur la construction de la Jérusalem historique mais sur celle de la Jérusalem céleste, en gêne peut-être certains Mais la « Parole » à laquelle elle fait référence implique le débat. [« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu » ndlr]
« Dans la Charte du Hamas, la maçonnerie est au même rang que le peuple juif : bonne pour l’extermination. »
N.S. : Y a-t-il aujourd'hui des loges du Grand Orient en Israël et dans les pays musulmans ?
P.L : Il existe en Israël des loges du Grand Orient qui pratiquent une maçonnerie libérale adogmatique. Nous avons des loges libérales au Liban. Ils se réunissent dans le plus grand secret. Il existe une loge non libérale adogmatique en Egypte. Il y en a ailleurs aussi, mais je ne peux pas les citer car ce serait dangereux pour eux. Ils sont pourchassés. Vous savez, dans la Charte du Hamas, la maçonnerie est au même rang que le peuple juif : bonne pour l’extermination.
« Les religions ayant montré leurs limites, on constate un regain d’intérêt de la part des jeunes pour la maçonnerie »
N.S : La maçonnerie est-elle moins importante aujourd'hui qu'autrefois ?
P.L. : La Franc-maçonnerie est aussi importante aujourd’hui qu’au siècle dernier. On constate même un regain d’intérêt de la part des jeunes ; dans un pays où les religions ont montré leurs limites, où les grands blocs politiques ne développent plus de philosophie, il existe un lieu où des gens de toutes confessions, toutes origines, tous milieux sociaux peuvent parler et être écoutés. C’est le Grand Orient de France.
Au Grand Orient, on parle de citoyenneté, de politique, de défense nationale, de religion aussi, mais sans essayer de convaincre autrui de la supériorité de ses croyances. Nous avons notamment une loge du nom de l’Etoile, spécifiquement créée pour étudier le problème juif.
N.S. : La Franc-maçonnerie exerce-t-elle une influence sur la politique ?
P.L. : Aujourd’hui comme à l’époque de la Troisième République, de nombreux politiques sont maçons, mais ce n’est pas la maçonnerie en tant que telle qui joue un rôle politique. Il arrive que les politiciens viennent faire leurs conférences ici pour tester nos réactions. Parallèlement, je vais voir les politiciens pour leur dire : voilà ce que nous faisons actuellement et ce que nous pensons.
« Le projet qui me tient le plus à cœur est celui de la citoyenneté car je pense que le communautarisme est une véritable catastrophe »
N.S : Un projet qui vous tient particulièrement à cœur ?
P.L. : Nous avons élaboré un chemin d’accès sur la citoyenneté : un Livre blanc sur l’indépendance est en cours d’écriture ; la population vieillit en France, devient de plus en plus dépendante : il faut s’en occuper pour qu’elle conserve sa dignité humaine.
Décider de se faire initier, c’est décider de mener sa vie debout et libre. Celui qui est victime d’addiction, quelle qu’elle soit, n’est plus libre. Donc nous combattons aussi toutes les formes d’addiction. Le Grand-Orient a une commission à Limoges qui traite spécifiquement du problème de l’addiction.
Mais le projet qui me tient le plus à cœur est celui de la citoyenneté car je pense que le communautarisme est une véritable catastrophe en France. L’opposition des communautés ne peut mener à rien de bon. Il faut véritablement recréer ce que nous avons voulu créer avec la République française : des citoyens qui ont les mêmes droits et les mêmes devoirs, qui appartiennent à la souveraineté nationale et font partie du même bloc national.
« On a subventionné des écoles non laïques qui ne forment pas des citoyens, mais des membres de communautés »
Pour moi, toutes les écoles religieuses sont de même niveau. L’école laïque est actuellement amoindrie parce qu’on a subventionné des écoles non laïques, qui ne forment pas des citoyens, mais simplement des membres de communautés. Je trouve aussi préjudiciables les écoles musulmanes que les écoles juives, qui ne mettent pas leurs éléments au contact des autres. L’école laïque a non seulement pour vocation d’apporter un savoir, mais une connaissance de la République, de former des citoyens, des hommes et des femmes capables de raisonner et d’user de leur libre arbitre. C’est le pari de l’école laïque. Ceux qui ne mettent pas leur enfant à l’école laïque ne font pas le choix de la société républicaine.
N.S : Faut-il enseigner les religions à l'école laïque ?
P.L. : Il ne devrait pas y avoir de sujet tabou : il faut parler des périodes noires : la Shoah, la colonisation. Il faut enseigner l’histoire des Hommes, mais pas les religions, qui n’en font pas partie. La religion est un phénomène personnel. Seule la partie exotérique des religions, qui a amené les hommes à se diviser, doit être enseignée. Les guerres de religions étaient en fin de compte des guerres de pouvoir.
« Avant d’expliquer les religions, il faut expliquer ce qu’est la République. »
Avant d’expliquer les religions, il faut expliquer ce qu’est la République. Il faut remettre l’accent sur l’éducation civique, expliquer que la République est une chose extraordinaire. Mais quand la République se réfugie derrière la religion pour assurer la paix dans certains quartiers, nous sommes en présence d'une véritable catastrophe. L’Etat républicain doit reprendre son droit complet.
« Cet hiver en Israël et à Ramallah, j’espère pouvoir rencontrer M. Netanyahu et M. Peres, ainsi que M. Abbas, et tous ceux qui voudront me voir. »
N.S : Vous venez cet hiver en Israël…
P.L. : Si je peux aider à la paix en me rendant cet hiver en Israël et à Ramallah, ce serait bien. J’espère pouvoir rencontrer M. Netanyahu et M. Peres, ainsi que M Abbas, et tous ceux qui voudront me voir.
Je connais bien Jérusalem et Tel-Aviv. Je suis allé travailler en 67 en Israël dans un kibboutz communiste proche la Mer morte : j’ai des souvenirs émus de cette période. Les kibboutznikim voulaient reproduire une société fraternelle où chacun prenait l’autre en compte. C’était beau ! Ils travaillaient dur… et m’ont fait travailler dur aussi !
« J’ai été élevé par des Juifs marocains »
En 95, je suis retourné à Jérusalem. J’ai trouvé la population plus religieuse que ce que j’avais connu… Vous savez, j’ai été élevé par des Juifs marocains, des gens qui travaillaient sur les marchés. La grand-mère récupérait les gosses après l’école. Je ne me suis rendu compte qu’ils étaient Juifs qu’en 79, quand elle est morte. J’ai voulu aller la voir et on ne m’a pas laissé entrer. Depuis, leur fils a fait son 'alyah'…
Propos recueillis par Nathalie Szerman pour le (c) Jerusalem Post
Les valeurs émancipatrices de la République
Alors qu’en France et en Europe, la polémique sur la burqa, le voile et la laïcité, que l’on croyait calmée, revient sur le devant la scène avec une acuité inédite, avec l’arrivée d'une élue voilée au parlement européen, sanctuaire de la démocratie, et l’éclosion de diverses pétitions contre la burqa sur le web, il nous a semblé utile de faire entendre la voix de l’un des défenseurs sereins des valeurs universelles de la République : le Grand Maître du Grand Orient de France : Pierre Lambicchi.
NS : Comment le Grand Orient se différencie-t-il des autres obédiences maçonniques ?
Pierre Lambicchi : Le Grand Orient de France est la puissance maçonnique la plus importante et la plus ancienne de France ; elle fait partie de la maçonnerie libérale adogmatique : contrairement aux autres obédiences maçonniques, il n’y a pas chez nous d’obligation de croire en Dieu, ni d’invocation à Dieu obligatoire dans nos loges. C’est certes une maçonnerie traditionnelle, avec ses rituels, mais son travail est toujours orienté vers la société. Ici, vous êtes dans le Temple de la République : liberté de pensée, de conscience, éducation.
NS : Quelles sont les origines de cette obédience ?
P.L. : Elle a été créée historiquement au XVIIIème siècle, par des personnes exerçant des professions libérales en Angleterre. Il n’y avait pas de sécurité sociale à l’époque et les accidents de travail étaient fréquents. Il s’agissait d’aider les femmes et les enfants des victimes. On se réunissait dans des tavernes. Des nobles se sont peu à peu joints à ces personnes pour les aider de leur expérience. Ils leur ont d’abord expliqué le système mutualiste. La maçonnerie des débuts était basée sur l’entraide : elle comprenait des coiffeurs, des maçons... Très vite, cette entraide s’est ouverte à la société dans son ensemble. Nous avons ensuite surfé sur l’élan de libération des esprits du XVIIIème siècle, qui nous a permis d’exploser.
NS : La Franc-maçonnerie s'est traditionnellement élevée contre toutes les formes d'obscurantisme et de fanatisme, représentées jadis par le catholicisme romain. Quelle est sa position actuelle face à l'intégrisme islamique ?
P.L. : Seule la maçonnerie du Grand Orient de France a combattu l’obscurantisme. La maçonnerie anglaise dite régulière a aidé les obscurantismes. Pinochet était un maçon de la grande loge du Chili, qui est une obédience régulière.
"Derrière la burqa, il y a des régulations incompatibles avec les droits de l’Homme."
Notre position est la même face à l’intégrisme islamique que face à tous les intégrismes. Nous sommes dans un pays laïque : toute forme de religion doit être confinée à la sphère privée. Dans les hôpitaux et les autres lieux publics, on doit se comporter de manière neutre afin de vivre ensemble en bonne intelligence. La République française n’est pas une juxtaposition de communautés mais une intégration de toutes nos différences pour en faire une positivité. Derrière la burqa, il y a des régulations qui sont inacceptables parce qu’elles constituent une atteinte aux droits de l’Homme.
Cela dit, dans toutes les religions, il existe une part de fanatisme et d’intégrisme. Ce qui me gêne dans l’intégrisme, c’est l’avilissement de l’être humain, cette portée politique qui considère que ce que je fais est bien, mais que ce que fait l’autre ne l’est pas.
"Tout le monde doit être placé au même niveau d’égalité."
Un diplomate de la commission onusienne est venu nous dire ici, en substance : 'Vous savez, l’universalité des droits de l’Homme est fonction des pays et des cultures et si la culture d’un pays, c’est de lapider la femme adultère, cette pratique fait partie des droits de l’Homme ; si vous ne l’acceptez pas, vous êtes raciste.' Je pose la question : qui de nous deux est le plus raciste ? Tout le monde doit être placé au même niveau d’égalité.
Je vis dans un quartier juif. Certains de mes collaborateurs juifs sont gênés par l’intégrisme d’une partie de la communauté juive. Leur message est : 'Je suis comme je suis : prenez-moi tel que je suis.' Or ce n’est pas là le but de la République française, une république d’intégration qui accueille tout le monde, pas assez sans doute, parce qu’elle les accueille sans les amener à la citoyenneté. Je connais des personnes qui sont arrivées en France il y a trente ans et qui ne parlent toujours pas le français, ne connaissent pas la loi française, ne s’habillent toujours pas comme des occidentales. C’est un échec. Ce n’est pas faire preuve de racisme que d’affirmer la nécessité de l’intégration. Les Anglais sont en train de revenir de leur modèle de juxtaposition, vous savez ! A force de ne pas regarder ce qui se fait dans les mosquées !
"Les lois anti-maçonniques ont été promulguées par Vichy pendant la guerre, avant les lois anti-juives. Nous sommes les premiers à avoir été persécutés : mes parents sont allés en camp…"
N.S : La Franc-maçonnerie et le judaïsme ont des objectifs différents et au fond divergents. Commet expliquez-vous alors le mythe du complot judéo-maçonnique ?
P.L. : Le grand maître adjoint pourrait mieux répondre que moi… Il se trouve qu’il y a beaucoup de Juifs en maçonnerie ! Le Grand Orient a été la première obédience à accepter les Juifs qui, à une époque, n’étaient pas admis. Il n’y a pas d’incompatibilité au Grand-Orient avec la pratique religieuse, du moment que l’on respecte l’autre : c’est une maison du respect de l’autre. Les lois anti-maçonniques ont été promulguées par Vichy pendant la guerre, avant les lois anti-juives. Nous sommes les premiers à avoir été persécutés : mes parents sont allés en camp…
Chaque fois qu’il existe un groupe dont on ne connaît pas trop les activités, il devient un bouc émissaire. Il faut quelqu’un qui stigmatise les malheurs dont on ne comprend pas l’origine. C’est difficile d’empêcher l’imaginaire collectif.
« Nous sommes très inquiets face aux débordements antisémites de l’ultra-gauche. »
N.S : La Franc-maçonnerie essaie-t-elle aujourd'hui de jouer un rôle dans le processus de paix au Moyen-Orient ?
P.L : Je me suis bien gardé de participer aux manifestations parisiennes sur la situation au Proche Orient : des manifestations pour la paix qui ont fini par brûler le drapeau d’Israël. Je me doutais bien que ça allait déborder. Nous sommes très inquiets face aux débordements antisémites de l’ultra-gauche. Cela dit, nous nous efforçons de ne pas prendre parti sur les questions politiques brûlantes de la région.
N.S. : Etes-vous en contact avec le Bnei-Brith ?
P.L : Ce qui m’embête, c’est qu’il n’y a que des Juifs au Bnei-Brith… Cela fait communautaire. Le Bnei-Brith a été créé par 9 maçons émigrés à New York car à l’époque, on n’initiait pas les Juifs. Aux Etats-Unis, il existe aussi des obédiences noires ! L’initiation des Juifs en France date de 1870.
Le langage néo-testamentaire de la maçonnerie, qui se base essentiellement sur l’Evangile selon Jean et se focalise non plus sur la construction de la Jérusalem historique mais sur celle de la Jérusalem céleste, en gêne peut-être certains Mais la « Parole » à laquelle elle fait référence implique le débat. [« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu » ndlr]
« Dans la Charte du Hamas, la maçonnerie est au même rang que le peuple juif : bonne pour l’extermination. »
N.S. : Y a-t-il aujourd'hui des loges du Grand Orient en Israël et dans les pays musulmans ?
P.L : Il existe en Israël des loges du Grand Orient qui pratiquent une maçonnerie libérale adogmatique. Nous avons des loges libérales au Liban. Ils se réunissent dans le plus grand secret. Il existe une loge non libérale adogmatique en Egypte. Il y en a ailleurs aussi, mais je ne peux pas les citer car ce serait dangereux pour eux. Ils sont pourchassés. Vous savez, dans la Charte du Hamas, la maçonnerie est au même rang que le peuple juif : bonne pour l’extermination.
« Les religions ayant montré leurs limites, on constate un regain d’intérêt de la part des jeunes pour la maçonnerie »
N.S : La maçonnerie est-elle moins importante aujourd'hui qu'autrefois ?
P.L. : La Franc-maçonnerie est aussi importante aujourd’hui qu’au siècle dernier. On constate même un regain d’intérêt de la part des jeunes ; dans un pays où les religions ont montré leurs limites, où les grands blocs politiques ne développent plus de philosophie, il existe un lieu où des gens de toutes confessions, toutes origines, tous milieux sociaux peuvent parler et être écoutés. C’est le Grand Orient de France.
Au Grand Orient, on parle de citoyenneté, de politique, de défense nationale, de religion aussi, mais sans essayer de convaincre autrui de la supériorité de ses croyances. Nous avons notamment une loge du nom de l’Etoile, spécifiquement créée pour étudier le problème juif.
N.S. : La Franc-maçonnerie exerce-t-elle une influence sur la politique ?
P.L. : Aujourd’hui comme à l’époque de la Troisième République, de nombreux politiques sont maçons, mais ce n’est pas la maçonnerie en tant que telle qui joue un rôle politique. Il arrive que les politiciens viennent faire leurs conférences ici pour tester nos réactions. Parallèlement, je vais voir les politiciens pour leur dire : voilà ce que nous faisons actuellement et ce que nous pensons.
« Le projet qui me tient le plus à cœur est celui de la citoyenneté car je pense que le communautarisme est une véritable catastrophe »
N.S : Un projet qui vous tient particulièrement à cœur ?
P.L. : Nous avons élaboré un chemin d’accès sur la citoyenneté : un Livre blanc sur l’indépendance est en cours d’écriture ; la population vieillit en France, devient de plus en plus dépendante : il faut s’en occuper pour qu’elle conserve sa dignité humaine.
Décider de se faire initier, c’est décider de mener sa vie debout et libre. Celui qui est victime d’addiction, quelle qu’elle soit, n’est plus libre. Donc nous combattons aussi toutes les formes d’addiction. Le Grand-Orient a une commission à Limoges qui traite spécifiquement du problème de l’addiction.
Mais le projet qui me tient le plus à cœur est celui de la citoyenneté car je pense que le communautarisme est une véritable catastrophe en France. L’opposition des communautés ne peut mener à rien de bon. Il faut véritablement recréer ce que nous avons voulu créer avec la République française : des citoyens qui ont les mêmes droits et les mêmes devoirs, qui appartiennent à la souveraineté nationale et font partie du même bloc national.
« On a subventionné des écoles non laïques qui ne forment pas des citoyens, mais des membres de communautés »
Pour moi, toutes les écoles religieuses sont de même niveau. L’école laïque est actuellement amoindrie parce qu’on a subventionné des écoles non laïques, qui ne forment pas des citoyens, mais simplement des membres de communautés. Je trouve aussi préjudiciables les écoles musulmanes que les écoles juives, qui ne mettent pas leurs éléments au contact des autres. L’école laïque a non seulement pour vocation d’apporter un savoir, mais une connaissance de la République, de former des citoyens, des hommes et des femmes capables de raisonner et d’user de leur libre arbitre. C’est le pari de l’école laïque. Ceux qui ne mettent pas leur enfant à l’école laïque ne font pas le choix de la société républicaine.
N.S : Faut-il enseigner les religions à l'école laïque ?
P.L. : Il ne devrait pas y avoir de sujet tabou : il faut parler des périodes noires : la Shoah, la colonisation. Il faut enseigner l’histoire des Hommes, mais pas les religions, qui n’en font pas partie. La religion est un phénomène personnel. Seule la partie exotérique des religions, qui a amené les hommes à se diviser, doit être enseignée. Les guerres de religions étaient en fin de compte des guerres de pouvoir.
« Avant d’expliquer les religions, il faut expliquer ce qu’est la République. »
Avant d’expliquer les religions, il faut expliquer ce qu’est la République. Il faut remettre l’accent sur l’éducation civique, expliquer que la République est une chose extraordinaire. Mais quand la République se réfugie derrière la religion pour assurer la paix dans certains quartiers, nous sommes en présence d'une véritable catastrophe. L’Etat républicain doit reprendre son droit complet.
« Cet hiver en Israël et à Ramallah, j’espère pouvoir rencontrer M. Netanyahu et M. Peres, ainsi que M. Abbas, et tous ceux qui voudront me voir. »
N.S : Vous venez cet hiver en Israël…
P.L. : Si je peux aider à la paix en me rendant cet hiver en Israël et à Ramallah, ce serait bien. J’espère pouvoir rencontrer M. Netanyahu et M. Peres, ainsi que M Abbas, et tous ceux qui voudront me voir.
Je connais bien Jérusalem et Tel-Aviv. Je suis allé travailler en 67 en Israël dans un kibboutz communiste proche la Mer morte : j’ai des souvenirs émus de cette période. Les kibboutznikim voulaient reproduire une société fraternelle où chacun prenait l’autre en compte. C’était beau ! Ils travaillaient dur… et m’ont fait travailler dur aussi !
« J’ai été élevé par des Juifs marocains »
En 95, je suis retourné à Jérusalem. J’ai trouvé la population plus religieuse que ce que j’avais connu… Vous savez, j’ai été élevé par des Juifs marocains, des gens qui travaillaient sur les marchés. La grand-mère récupérait les gosses après l’école. Je ne me suis rendu compte qu’ils étaient Juifs qu’en 79, quand elle est morte. J’ai voulu aller la voir et on ne m’a pas laissé entrer. Depuis, leur fils a fait son 'alyah'…
Propos recueillis par Nathalie Szerman pour le (c) Jerusalem Post
Photo : Pierre Lambicchi (à gauche)
dimanche 24 mai 2009
Eau, solidarité interétatique et indépendance
03/05/2009 Nathalie Szerman
Au moment du soixante et unième anniversaire de l'Etat hébreu, le problème de la sécheresse et de la raréfaction des ressources en eau se pose avec acuité : plus qu'un simple enjeu économique, la bonne gestion de ces ressources est l'une des conditions de l'indépendance de facto de l'Etat. Depuis des années, le KKL agit pour parer le coup. Cette année, il a organisé sa douzième Marche pour l'eau dans le Goush Etzion.
Initiée il y a douze ans par Moshé Cohen, alors délégué du KKL de Jérusalem en France, la Marche pour l'eau avait pour objectif de faire connaître Israël par les pieds. Pourquoi une Marche pour l'eau ? Parce que l'eau est synonyme de vie et que les fonds collectés ont servi, dès les premières années, à créer des réservoirs pour récupérerl'eau des inondations en Israël.
Très sportive à ses débuts (il fallait un certificat médical pour pouvoir y participer), la Marche est devenue, au fil des ans, plus touristique et historique. Même si elledemeure éprouvante physiquement.
Mars 2009 : la 12e Marche pour l'eau se déroule dans la région du Goush Etzion, avec 90 participants. Cette année, la dimension historique est mise en avant. L'ouverture officielle a lieu à Roglit, site de commémoration des déportés juifs de France. Arrivés dans le Goush Etzion vers 11h00, les participants empruntent ensuite le chemin des sources et la route des Patriarches jusqu'à la ville d'Efrat.
Le 3e jour, bravant le froid intense du petit matin au sommet du Hérodion, les marcheurs écoutent, immobiles, glacés et encore courbaturés par les efforts musculaires de la veille, les longues explications historiques de leur guide. Mais nul ne songe à se plaindre : ces randonneurs de milieux professionnels variés (médecins, photographes, commerciaux...), d'un bon niveau général, ont pour seules lignes de conduite de passer un moment agréable, relever sans broncher quelques défis physiques et donner à Israël.
Ainsi, lors de la visite de Sdé Bar(3e jour), village de rééducation pour adolescents en difficulté, où ces derniers fabriquent un fromage de chèvre réputé, le groupe se mobilise spontanément pour collecter des fonds. Et nul n'hésite à acheter des morceaux de fromage pesants et parfumés aux jeunes gens qui leur font goûter le fruit de leur travail, quitte à sentir ses achats fondre sur son dos dans le courant de l'après-midi...
L'eau ou la nécessité de la solidarité interétatique
Une Marche pour l'eau en montagnes arides, où nul ne parle d'eau, mais où le cœur aime, la tête réfléchit et l'humeur est au beau fixe."Cette marche n'était pas la plus difficile sur le plan physique", rapporte Serge Cohen, fidèle de l'expédition, "mais c'était l'une de plus émouvantes : nous sommes partis sur les traces de Bar Korbah, avons parcouru des sites traversés de cours d'eau.
Nous avions le sentiment que c'était autre chose qu'un simple circuit touristique."Il est certain que la Marche pour l'eau est plus que cela : elle est, par son thème (l'eau) et son contenu (la marche), un moyen de pénétrer les consciences de la nécessité d'une souveraineté nationale à tous les niveaux : cette terre, il faut certes l'arpenter pour se l'approprier intimement. Mais il faut aussi pouvoir y survivre, et pas seulement politiquement.
En ce début de siècle, l'or bleu n'est pas la préoccupation du seul Etat d'Israël : les ressources en eau mondiales se raréfient, avec l'accroissement démographique et le réchauffement climatique. L'agriculture représente 70 % de la consommation en eau, taux qui ne cesse de croître sous la poussée démographique. On prévoit en outre qu'en 2030, près de la moitié de la population mondiale vivra dans des zones soumises au stress hydrique.
Face à la gravité de la situation, un forum mondial de l'eau a été organisé à Istanbul du 16 au 22 mars 2009 ; le plus grand événement international sur l'eau à ce jour. Les déclarations finales n'ont pas revêtu le caractère décisif attendu et des dissensions se sont manifestées quant à la politique à suivre et la définition à apporter à l'eau : faut-il en faire un droit pour tous (position des pays d'Afrique notamment) ou un besoin (position de pays disposant de ressources d'eau importantes, à l'exception notable de la France) ? Le forum a au moins eu le mérite de révéler avec acuité la nécessité de la coopération et de la solidarité entre Etats.
Coopération : un mot clé pour éviter de nouvelles catastrophes humanitaires liées aux carences en eau. Dernière en date : l'épidémie de choléra au Zimbabwe. Sans eau en quantité et de qualité suffisantes, la pauvreté, la maladie et la faim seront au rendez-vous. De l'acceptation de la nécessité de coopérer à la mise en place d'une politique adaptée, il y a toutefois un monde. Et ce bien que la politique d'un Etat ait des conséquences directes sur les Etats voisins : des pompages importants en amont diminuent l'importance des sources en aval, et la pollution d'un fleuve en un lieu donné affecte l'ensemble du cours d'eau. Une convention internationale sur les fleuves partagés qui définit les principes d'une gestion équitable a été adoptée en 1997, mais n'est pas appliquée, faute de signataires...
La Route de la Paix du KKL
Voilà douze ans maintenant que le KKL a fait de l'eau sa priorité : il ne s'agit plus seulement de planter des forêts en Israël, ni même de construire des réservoirs, mais de financer la recherche dans les domaines de l'agriculture et de l'irrigation, recherche dont les résultats pourraient bien se révéler précieux à moyen terme, pour la région comme pour l'ensemble de la planète.
Le caractère stratégique de toute politique de l'eau au Moyen-Orient n'échappe pas au KKL, qui a en outre établi la Route de la Paix. Celle-ci promet d'être un exemple de coopération entre Etats. Dans le cadre du programme de développement des régions désertiques d'Israël, une "Route de la paix" a été construite le long de la frontière israélo-jordanienne. Longue de 24 km, elle longe les falaises de la Aravah et relie les terrains agricoles des communautés vivant dans les localités de la région. Trois réserves d'eau ont été créées sur son chemin, vu que l'itinéraire traverse deux rivières qui arrivent dans la Aravah avant de se jeter dans la mer Morte.
Mais pourquoi le nom si évocateur de "Route de la paix" ? Sur la frontière doit être établi un institut d'études supérieures spécialisé dans les ressources d'eau en climats désertiques, sujet qui intéresse toute la région du Moyen-Orient. Dans cet institut où Israéliens et Jordaniens pourront préparer une maîtrise ou un doctorat, le savoir des uns servira aux autres. En favorisant la coopération entre Israël et la Jordanie pour résoudre un problème commun aux pays du Moyen-Orient, le KKL espère contribuer à la mise en pratique du Traité de paix israélo-jordanien de 1994, autrement qu'en assurant un simple maintien du calme dans la région.
Est-ce que par une politique de l'eau avisée, Israël saura asseoir son indépendance et avancer sur le chemin de la paix avec ses voisins ? Il est permis de l'espérer.
03/05/2009 Nathalie Szerman
Au moment du soixante et unième anniversaire de l'Etat hébreu, le problème de la sécheresse et de la raréfaction des ressources en eau se pose avec acuité : plus qu'un simple enjeu économique, la bonne gestion de ces ressources est l'une des conditions de l'indépendance de facto de l'Etat. Depuis des années, le KKL agit pour parer le coup. Cette année, il a organisé sa douzième Marche pour l'eau dans le Goush Etzion.
Initiée il y a douze ans par Moshé Cohen, alors délégué du KKL de Jérusalem en France, la Marche pour l'eau avait pour objectif de faire connaître Israël par les pieds. Pourquoi une Marche pour l'eau ? Parce que l'eau est synonyme de vie et que les fonds collectés ont servi, dès les premières années, à créer des réservoirs pour récupérerl'eau des inondations en Israël.
Très sportive à ses débuts (il fallait un certificat médical pour pouvoir y participer), la Marche est devenue, au fil des ans, plus touristique et historique. Même si elledemeure éprouvante physiquement.
Mars 2009 : la 12e Marche pour l'eau se déroule dans la région du Goush Etzion, avec 90 participants. Cette année, la dimension historique est mise en avant. L'ouverture officielle a lieu à Roglit, site de commémoration des déportés juifs de France. Arrivés dans le Goush Etzion vers 11h00, les participants empruntent ensuite le chemin des sources et la route des Patriarches jusqu'à la ville d'Efrat.
Le 3e jour, bravant le froid intense du petit matin au sommet du Hérodion, les marcheurs écoutent, immobiles, glacés et encore courbaturés par les efforts musculaires de la veille, les longues explications historiques de leur guide. Mais nul ne songe à se plaindre : ces randonneurs de milieux professionnels variés (médecins, photographes, commerciaux...), d'un bon niveau général, ont pour seules lignes de conduite de passer un moment agréable, relever sans broncher quelques défis physiques et donner à Israël.
Ainsi, lors de la visite de Sdé Bar(3e jour), village de rééducation pour adolescents en difficulté, où ces derniers fabriquent un fromage de chèvre réputé, le groupe se mobilise spontanément pour collecter des fonds. Et nul n'hésite à acheter des morceaux de fromage pesants et parfumés aux jeunes gens qui leur font goûter le fruit de leur travail, quitte à sentir ses achats fondre sur son dos dans le courant de l'après-midi...
L'eau ou la nécessité de la solidarité interétatique
Une Marche pour l'eau en montagnes arides, où nul ne parle d'eau, mais où le cœur aime, la tête réfléchit et l'humeur est au beau fixe."Cette marche n'était pas la plus difficile sur le plan physique", rapporte Serge Cohen, fidèle de l'expédition, "mais c'était l'une de plus émouvantes : nous sommes partis sur les traces de Bar Korbah, avons parcouru des sites traversés de cours d'eau.
Nous avions le sentiment que c'était autre chose qu'un simple circuit touristique."Il est certain que la Marche pour l'eau est plus que cela : elle est, par son thème (l'eau) et son contenu (la marche), un moyen de pénétrer les consciences de la nécessité d'une souveraineté nationale à tous les niveaux : cette terre, il faut certes l'arpenter pour se l'approprier intimement. Mais il faut aussi pouvoir y survivre, et pas seulement politiquement.
En ce début de siècle, l'or bleu n'est pas la préoccupation du seul Etat d'Israël : les ressources en eau mondiales se raréfient, avec l'accroissement démographique et le réchauffement climatique. L'agriculture représente 70 % de la consommation en eau, taux qui ne cesse de croître sous la poussée démographique. On prévoit en outre qu'en 2030, près de la moitié de la population mondiale vivra dans des zones soumises au stress hydrique.
Face à la gravité de la situation, un forum mondial de l'eau a été organisé à Istanbul du 16 au 22 mars 2009 ; le plus grand événement international sur l'eau à ce jour. Les déclarations finales n'ont pas revêtu le caractère décisif attendu et des dissensions se sont manifestées quant à la politique à suivre et la définition à apporter à l'eau : faut-il en faire un droit pour tous (position des pays d'Afrique notamment) ou un besoin (position de pays disposant de ressources d'eau importantes, à l'exception notable de la France) ? Le forum a au moins eu le mérite de révéler avec acuité la nécessité de la coopération et de la solidarité entre Etats.
Coopération : un mot clé pour éviter de nouvelles catastrophes humanitaires liées aux carences en eau. Dernière en date : l'épidémie de choléra au Zimbabwe. Sans eau en quantité et de qualité suffisantes, la pauvreté, la maladie et la faim seront au rendez-vous. De l'acceptation de la nécessité de coopérer à la mise en place d'une politique adaptée, il y a toutefois un monde. Et ce bien que la politique d'un Etat ait des conséquences directes sur les Etats voisins : des pompages importants en amont diminuent l'importance des sources en aval, et la pollution d'un fleuve en un lieu donné affecte l'ensemble du cours d'eau. Une convention internationale sur les fleuves partagés qui définit les principes d'une gestion équitable a été adoptée en 1997, mais n'est pas appliquée, faute de signataires...
La Route de la Paix du KKL
Voilà douze ans maintenant que le KKL a fait de l'eau sa priorité : il ne s'agit plus seulement de planter des forêts en Israël, ni même de construire des réservoirs, mais de financer la recherche dans les domaines de l'agriculture et de l'irrigation, recherche dont les résultats pourraient bien se révéler précieux à moyen terme, pour la région comme pour l'ensemble de la planète.
Le caractère stratégique de toute politique de l'eau au Moyen-Orient n'échappe pas au KKL, qui a en outre établi la Route de la Paix. Celle-ci promet d'être un exemple de coopération entre Etats. Dans le cadre du programme de développement des régions désertiques d'Israël, une "Route de la paix" a été construite le long de la frontière israélo-jordanienne. Longue de 24 km, elle longe les falaises de la Aravah et relie les terrains agricoles des communautés vivant dans les localités de la région. Trois réserves d'eau ont été créées sur son chemin, vu que l'itinéraire traverse deux rivières qui arrivent dans la Aravah avant de se jeter dans la mer Morte.
Mais pourquoi le nom si évocateur de "Route de la paix" ? Sur la frontière doit être établi un institut d'études supérieures spécialisé dans les ressources d'eau en climats désertiques, sujet qui intéresse toute la région du Moyen-Orient. Dans cet institut où Israéliens et Jordaniens pourront préparer une maîtrise ou un doctorat, le savoir des uns servira aux autres. En favorisant la coopération entre Israël et la Jordanie pour résoudre un problème commun aux pays du Moyen-Orient, le KKL espère contribuer à la mise en pratique du Traité de paix israélo-jordanien de 1994, autrement qu'en assurant un simple maintien du calme dans la région.
Est-ce que par une politique de l'eau avisée, Israël saura asseoir son indépendance et avancer sur le chemin de la paix avec ses voisins ? Il est permis de l'espérer.
Nathalie Szerman Copyright Jerusalem Post
dimanche 29 mars 2009
Où est l'ambassadeur de Syrie au Liban ?
23.03.09
Vous souvenez-vous du sommet du 13 juillet 2008 à Paris, sommet de lancement de l'Union pour la Méditerranée ? Etait convié le très contesté président de Syrie, qui assistait en outre, le lendemain, aux festivités du 14 juillet. Sarkozy sortait ainsi la Syrie de son isolement, présentée au monde entier comme un partenaire. Il espérait peut-être ébrécher l’alliance irano-syrienne en faisant valoir à Bashar Assad les avantages de la coopération avec l'Europe. En échange de cette nouvelle reconnaissance internationale, la Syrie devait au moins nommer un ambassadeur de Syrie au Liban – avant fin 2008.
Certes, l’immeuble de l’ambassade est aujourd'hui prêt à recevoir le diplomate et le drapeau syrien flotte dans le ciel libanais, mais où est donc l’ambassadeur, dont nul ne connaît encore le nom ? Le Liban, en revanche, a déjà nommé son ambassadeur en Syrie, Michel El-Khoury, qui doit entrer en fonction fin mars, nous dit-on. Chronologie d'une plaisanterie qui dure :
5 janvier 2008 : Le ministre syrien des Affaires étrangères Walid Mouallem confirme que l’ambassade de Syrie au Liban sera établie avant fin 2008. Quant à la nomination d’un ambassadeur, "elle aura lieu progressivement" (iloubnan.info). Un adverbe qui laisse rêveur…
23 février 2009 : Bernard Kouchner précise (Al-Sharq Al-Awsat) que passe encore un petit retard, mais que si la Syrie envisageait de ne pas envoyer d’ambassadeur, ce serait “grave”.
17 février 2009 : Dans une interview au quotidien syrien Al-Watan, Buthayna Shaaban, conseillère d’Al-Assad, évoque avec légèreté la nomination d’un ambassadeur au Liban : “Nous avons treize ambassades sans ambassadeurs. Tout dépend des moyens et de la situation du ministre syrien des Affaires étrangères. Il n’y a pas de rapport entre [la nomination d’un ambassadeur] et les liens amicaux, l’entente et la proximité existant entre les peuples de deux nations (…)” La Syrie entend donc bénéficier des avantages de l’amitié de la France. La France se contentera pour sa part des beaux yeux de Bashar.
En attendant, la Syrie est bel et bien sortie de son isolement politique et ne s’en plaint pas : L’ambassadeur de Syrie aux Etats-Unis Imad Moustapha doit rencontrer à Washington un haut responsable du département d’Etat. Cette rencontre pourrait “constituer le début d’une ouverture dans les relations syro-américaines”, selon M. Moustapha (AFP, 25 février 2009).
Bon… Le cap des deux mois de retard est désormais franchi. Est-ce “grave”, Dr Kouchner, ou pas encore ?
Mars 2009 : Sarkozy, qui semble s'impatienter, déclare à Charm El Cheikh, lors de la conférence co-présidée avec Hosni Moubarak sur la reconstruction de Gaza : “Je dis aux pays qui ont des liens avec le Hamas : vous avez une responsabilité particulière pour exiger du Hamas qu’il rejoigne le président Abbas (…)” Par ces mots, il fait signe à la Syrie (qui héberge Khaled Mechaal à Damas) que le temps est venu de rendre la pareille ! Si ce n’est par la nomination d’un ambassadeur, au moins en exerçant des pressions sur le Hamas !
Mais revenons-en à l'ambassadeur : selon une source française haut placée, Paris n’a pas encore reçu du gouvernement syrien d’explication satisfaisante au retard de la nomination d’un ambassadeur de Syrie à Beyrouth, et a demandé au président du Yémen, Ali Abdullah Saleh, de clarifier la situation. Il semble toutefois que l’on puisse se passer des services du président yéménite : Al-Akhbar (Liban, 3 mars 2009) explique que la Syrie est intéressée à ce que l’opposition libanaise (pro-syrienne) remporte les élections législatives, prévues pour le 7 juin 2009, et obtienne la majorité au parlement. Or il est clair que la nomination d’un ambassadeur au Liban affaiblirait l’opposition pro-syrienne en ces temps cruciaux.
D’ailleurs, le paquet est mis pour que ces élections soient remportées par le Hezbollah : selon le Centre de recherche économique Info Prod, le Hezbollah libanais a dernièrement reçu un milliard de dollars (798 millions d’euros) destinés à sa campagne électorale. Elections cruciales pour l’Iran (et son influence dans la région), qui aurait octroyé 600 millions de dollars. Le Qatar (allié de l’Iran) aurait fait don de 300 millions de dollars. Il est certain qu'avec une mise pareille, un petit rigolo d’ambassadeur au Liban ne serait pas le bienvenu.
Et ce n’est pas tout : le 6 mars 2009, Wael Abu Fa’ur, qui appartient au parti du leader druze Walid Jumblatt (anti-syrien allié des Forces du 14 mars), accuse la Syrie d’ingérence dans la campagne électorale libanaise : la Syrie serait occupée à nommer les candidats de plusieurs listes électorales et à former des alliances. La Syrie gèrerait en outre un fonds électoral auquel plusieurs pays ont participé (Al-Sharq Al-Awsat, 4 mars 2009). Le fonds du milliard de dollars ? Non, celui-là, c’est l’Iran qui le gère ! L’Iran ou ses amis très proches.
Nathalie Szerman dans Lemonde.fr
23.03.09
Vous souvenez-vous du sommet du 13 juillet 2008 à Paris, sommet de lancement de l'Union pour la Méditerranée ? Etait convié le très contesté président de Syrie, qui assistait en outre, le lendemain, aux festivités du 14 juillet. Sarkozy sortait ainsi la Syrie de son isolement, présentée au monde entier comme un partenaire. Il espérait peut-être ébrécher l’alliance irano-syrienne en faisant valoir à Bashar Assad les avantages de la coopération avec l'Europe. En échange de cette nouvelle reconnaissance internationale, la Syrie devait au moins nommer un ambassadeur de Syrie au Liban – avant fin 2008.
Certes, l’immeuble de l’ambassade est aujourd'hui prêt à recevoir le diplomate et le drapeau syrien flotte dans le ciel libanais, mais où est donc l’ambassadeur, dont nul ne connaît encore le nom ? Le Liban, en revanche, a déjà nommé son ambassadeur en Syrie, Michel El-Khoury, qui doit entrer en fonction fin mars, nous dit-on. Chronologie d'une plaisanterie qui dure :
5 janvier 2008 : Le ministre syrien des Affaires étrangères Walid Mouallem confirme que l’ambassade de Syrie au Liban sera établie avant fin 2008. Quant à la nomination d’un ambassadeur, "elle aura lieu progressivement" (iloubnan.info). Un adverbe qui laisse rêveur…
23 février 2009 : Bernard Kouchner précise (Al-Sharq Al-Awsat) que passe encore un petit retard, mais que si la Syrie envisageait de ne pas envoyer d’ambassadeur, ce serait “grave”.
17 février 2009 : Dans une interview au quotidien syrien Al-Watan, Buthayna Shaaban, conseillère d’Al-Assad, évoque avec légèreté la nomination d’un ambassadeur au Liban : “Nous avons treize ambassades sans ambassadeurs. Tout dépend des moyens et de la situation du ministre syrien des Affaires étrangères. Il n’y a pas de rapport entre [la nomination d’un ambassadeur] et les liens amicaux, l’entente et la proximité existant entre les peuples de deux nations (…)” La Syrie entend donc bénéficier des avantages de l’amitié de la France. La France se contentera pour sa part des beaux yeux de Bashar.
En attendant, la Syrie est bel et bien sortie de son isolement politique et ne s’en plaint pas : L’ambassadeur de Syrie aux Etats-Unis Imad Moustapha doit rencontrer à Washington un haut responsable du département d’Etat. Cette rencontre pourrait “constituer le début d’une ouverture dans les relations syro-américaines”, selon M. Moustapha (AFP, 25 février 2009).
Bon… Le cap des deux mois de retard est désormais franchi. Est-ce “grave”, Dr Kouchner, ou pas encore ?
Mars 2009 : Sarkozy, qui semble s'impatienter, déclare à Charm El Cheikh, lors de la conférence co-présidée avec Hosni Moubarak sur la reconstruction de Gaza : “Je dis aux pays qui ont des liens avec le Hamas : vous avez une responsabilité particulière pour exiger du Hamas qu’il rejoigne le président Abbas (…)” Par ces mots, il fait signe à la Syrie (qui héberge Khaled Mechaal à Damas) que le temps est venu de rendre la pareille ! Si ce n’est par la nomination d’un ambassadeur, au moins en exerçant des pressions sur le Hamas !
Mais revenons-en à l'ambassadeur : selon une source française haut placée, Paris n’a pas encore reçu du gouvernement syrien d’explication satisfaisante au retard de la nomination d’un ambassadeur de Syrie à Beyrouth, et a demandé au président du Yémen, Ali Abdullah Saleh, de clarifier la situation. Il semble toutefois que l’on puisse se passer des services du président yéménite : Al-Akhbar (Liban, 3 mars 2009) explique que la Syrie est intéressée à ce que l’opposition libanaise (pro-syrienne) remporte les élections législatives, prévues pour le 7 juin 2009, et obtienne la majorité au parlement. Or il est clair que la nomination d’un ambassadeur au Liban affaiblirait l’opposition pro-syrienne en ces temps cruciaux.
D’ailleurs, le paquet est mis pour que ces élections soient remportées par le Hezbollah : selon le Centre de recherche économique Info Prod, le Hezbollah libanais a dernièrement reçu un milliard de dollars (798 millions d’euros) destinés à sa campagne électorale. Elections cruciales pour l’Iran (et son influence dans la région), qui aurait octroyé 600 millions de dollars. Le Qatar (allié de l’Iran) aurait fait don de 300 millions de dollars. Il est certain qu'avec une mise pareille, un petit rigolo d’ambassadeur au Liban ne serait pas le bienvenu.
Et ce n’est pas tout : le 6 mars 2009, Wael Abu Fa’ur, qui appartient au parti du leader druze Walid Jumblatt (anti-syrien allié des Forces du 14 mars), accuse la Syrie d’ingérence dans la campagne électorale libanaise : la Syrie serait occupée à nommer les candidats de plusieurs listes électorales et à former des alliances. La Syrie gèrerait en outre un fonds électoral auquel plusieurs pays ont participé (Al-Sharq Al-Awsat, 4 mars 2009). Le fonds du milliard de dollars ? Non, celui-là, c’est l’Iran qui le gère ! L’Iran ou ses amis très proches.
Nathalie Szerman dans Lemonde.fr
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